Chroniques

par bertrand bolognesi

Orchestra sinfonica nazionale della RAI Torino
Plamena Mangova et Juraj Valcuha

Festival de Radio France et Montpellier Languedoc Roussillon / Corum
- 21 juillet 2011
© dr

À trente-cinq ans, le Slovaque Juraj Valcuha s’avère sans conteste l’un des meilleurs chefs de sa génération. Outre de profiter toujours des richesses des partitions qu’il sert, encore sait-il ne s’y écouter point trop, comme en témoignait déjà son fort bel enregistrement de Mirra du méconnu Alaleona, il y a quelques années [lire notre critique du CD]. Ce sont précisément ces qualités que l’on retrouve ce soir, dans un programme qu’il joue à la tête de l’Orchestra sinfonica nazionale della RAI Torino dont il est le patron depuis deux ans.

En première partie de soirée, deux adaptations, ou extensions, qui empruntent leur matière au grand Liszt, diabolique rhapsode qui fascinera tant Richard Burmeister que Ferruccio Busoni. Du premier, nous entendons la version pour piano et orchestre de la Mephisto Walz. Juraj Valcuha effectue un remarquable travail de couleurs, relevé, voire épicé, dont il préserve délicatement le bref moment chambriste (violoncelle, alto, flûte) avant le final. Au clavier, Plamena Mangova cisèle en grande fermeté de ton et vaillance de souffle, chantant magnifiquement les passages à découvert. Le jeu est fluide, l’accentuation souple, la superbe jamais brutalement orgueilleuse.

Du second, elle livre une interprétation subtilement électrique de la version pour piano et orchestre de la Rhapsodie espagnole. Après une curieuse introduction où le piano accompagne l’orchestre, contrairement à ce qui est généralement attendu, survient un grand solo échevelé, ici fougueux à souhait, tzigane quand bien même l’œuvre s’indique espagnole. Le très grave de l’instrument fait naître le thème rhapsodique, sombre, coupant et fier comme un duc catholique et comme une architecture pestoise. Elle signe une cadence inventive, subtile et colorée jusqu’en des pianississimi indicibles. La facture demeure plus directement pianistique, Busoni aimant fort à valoriser son propre médium, de sorte que l’orchestration laisse moins de possibilités au chef qui, sagement conscient de la nature de l’œuvre ainsi présentée, se tient rigoureuse au rôle qu’elle lui assigne. Cela n’empêche pas de goûter la passionnante alternance de pompe tonique et de finasseries orfèvres qui caractérise ce moment.

On connaît des solistes qui, après un gentil petit concerto, se font volontiers prier avant que d’accorder un bis, voire de n’en accorder aucun. Pour sûr, Plamena Mangova n’est pas des leurs : après ces deux pages éprouvantes, ce sont deux bis que généreusement elle offre. D’abord Der Atlas, le Lieder de Schubert transcrit par Liszt, dans une exécution virtuosement foudroyante, enfin le Nocturne en ut # mineur Op.Posth. de Chopin, à peine articulé dans une incroyable douceur, joué très librement, qui laisse l’écoute comme en apesanteur.

Après l’entracte, Valcuha s’évertue, en grand sorcier qu’il est, à rendre au Rachmaninov symphoniste les honneurs qu’on ne lui reconnaît pas toujours, à travers la Symphonie en la mineur Op.44 n°3 de 1935. Acceptant sans chichi la nudité simple du petit choral sur lequel s’ouvre le Lento inital, il réserve à l’Allegro moderato, véritable corps du premier mouvement, un impact rare. Tout en sculptant adroitement les délices des bois, le chef ne cède jamais à la tentation d’un lyrisme trop sucré. Sa lecture se tient fière, rigoureuse, convoquant des cordes qu’elle veut onctueuses mais jamais liquides. Chaque détail sonne miraculeusement (certains traits de percussion, par exemple), dans un dosage salutaire qui fait redécouvrir l’œuvre. Parfaitement précis avec la nuance, il dessine l’audacieux duetto de cor et harpe de l’Adagio central dont plus avant il révèle le souffle et le relief. L’écriture des timbres n’est pas laissée pour compte, le geste compositionnel se fait évident, jusqu’à une ultime tenue d’une gravité médusante. Enfin, il modèrera l’enthousiasme de l’Allegro, en toute conscience de ce que les réjouissances de Rachmaninov demeurent ceux d’un mélancolique inguérissable. Les contrastes s’affirment alors profonds, jamais violents, exquises les demi-teintes, et les contours sans gras comme sans sècheresse. Le public ne s’y trompe pas qui l’ovationne ! Et c’est par un intermède de Cavalleria rusticana de Mascagni, à peine sirupeux, comme il se doit, mais point trop, que l’orchestre piémontais et Juraj Valcuha saluent ce chaleureux accueil.

BB