Chroniques

par gilles charlassier

Opera Europa
troisième forum des professionnels de l’art lyrique

Royal Opera House – English National Opera – National Theatre, Londres
- du 3 au 6 mars 2011

Opera Europa est une organisation européenne fédérant des compagnies d’opéra qui a pour objectif de proposer des outils de collaboration aux institutions membres, favorisant ainsi les échanges. Le développement des coproductions constitue un exemple appréciable par le mélomane.

Depuis 2007, se tient un forum biannuel réunissant les professionnels de l’art lyrique. À Paris, lors de la première édition, cela coïncidait avec les journées européennes de l’opéra (qui ont lieu désormais le deuxième week-end de mai) au cours desquelles les institutions ouvrent leurs portes à un public plus large, en proposant des visites, des activités, etc. Après Barcelone et le Gran Teatre del Liceu, c’est à Londres que du 3 au 6 mars 2011 se tient le troisième convent, accueilli conjointement par le Royal Opera House, l’English National Opera et le National Theatre.

C’est quoi, l’opera experience ? Le développement des moyens de diffusion – enregistrements vidéo, retransmissions dans les salles de cinéma, internet – n’a pas eu raison des conditions de possibilité de l’expérience lyrique. Celle-ci ne peut décidément pas faire l’économie du rapport immédiat entre une scène et un public. Le problème est que, même s’ils sont aujourd’hui remplis, les temples paraissent être le point de rencontre d’une population qui n’est pas assez représentative de la société d’aujourd’hui. Notre ère de l’image se montre sensible à cette question de l’accessibilité d’un art jugé élitiste à une audience qui ne se sentirait pas naturellement concernée. Ajoutons qu’en Europe, l’opéra est une industrie qui dépend largement des subventions publiques. On pressent donc la démarche de légitimation à l’œuvre.

L’une des solutions envisagée à la question du renouvellement du rituel opératique est de l’insérer davantage dans son environnement urbain et social, d’imaginer de nouveaux lieux pour le culte des muses. Samedi matin, deux cabinets d’architecte et la directrice du Festival de Lucerne ont présenté réalisations et projets. Exemple de coopération entre musiciens, architectes et politiques, la salle modulable de Lucerne proposera différentes utilisations de l’espace, permettant ainsi une plus grande latitude dans la manière de jouer le répertoire, tout en stimulant la créativité des compositeurs d’aujourd’hui. Les utopies de Neutelings Riedjik Architects imaginent des protées capables d’accueillir des événements divers, de la représentation d’opéra au défilé festif.

Au cours de la session de l’après-midi consacrée aux enjeux de la programmation d’une maison d’opéra, Peter de Caluwe, direction du Théâtre Royal de la Monnaie (Bruxelles), a rappelé les termes éthiques et socio-politiques de la mission artistique d’une institution lyrique, tandis que Mike Gibb et Muriel Denzler, webmestres d’operabase, base de données à la disposition des maisons d’opéra tout autant que du lyricomane, ont dressé un état des lieux des villes où l’offre est la plus riche (Vienne reçoit la couronne de lauriers) ainsi que des ouvrages et des compositeurs les plus fréquemment joués (sans surprise on retrouve Wagner, Verdi, Mozart et Puccini). À l’opposé, nombres d’œuvres ne connaissent pas la reprise, et les partitions des dernières décennies sont bien représentées dans cette catégorie, ce qui souligne paradoxalement la vitalité de la création contemporaine comme sa difficulté plus évidente à s’inscrire au répertoire. En guise de travaux pratiques, Marc Scorca, président d’Opera America – sœur aînée d’Opera Europa en Amérique du Nord (l’organisation a fêté ses quarante ans l’an dernier et sa convention annuelle se tiendra à Boston en mai) –, a proposé à trois groupes mêlant de jeunes professionnels aux plus aguerris d’étudier un cas, abstrait, d’une compagnie d’opéra qui recevrait des subsides supplémentaires de la part d’une firme locale, et d’avancer des propositions qui seraient réalisées avec ces fonds. Au sein de chaque groupe, la créativité a préféré attribuer la part financière la plus importante au renouvellement de la programmation.

Jeudi soir, Lucrezia Borgia, l’opéra de Donizetti, était donné en langue vernaculaire à l’English National Opera. La traduction anglaise n’est pas le crime linguistique que l’on pourrait imaginer, une version ayant été créée du vivant du compositeur en 1841. Les publics biberonnés aux textes originaux et aux surtitres oublient trop souvent que l’on jouait Wagner et Verdi en français sur nos scènes au siècle dernier. La distribution vocale s’est montrée fort honorable, emmenée par l’héroïne éponyme de Claire Rutter, à la voix dramatique et timbrée. En revanche, la mise en scène de Mike Figgis, s’autorise des coupures pour y insérer à deux reprises un film reprenant l’argument de l’opéra, sans doute pour l’éclairer. Outre que le dispositif pèche par redondance, il ne peut racheter une direction théâtrale minimaliste sertie dans un décorum conventionnel. Le lendemain, la dernière de la création de Mark-Anthony Turnage, Anna Nicole, a fait parler d’elle [lire notre chronique du 4 mars 2011].

GC