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Chroniques
Oh Louis…
spectacle de Robyn Orlin
D’une mère polonaise installée en Afrique du Sud avant 1939, Robyn Orlin (née en 1955) reprend le métier de danseuse, avant de se tourner vers la chorégraphie. Elle intègre diverses expressions artistiques pour mieux dire les préoccupations du quotidien car, de son point de vue, « l'art ne sert à rien s'il n'est pas en prise avec le réel » (apartheid, sida, etc.) [lire notre chronique du 5 octobre 2005]. Revenue vers l’Europe depuis quelques années, ses dernières productions tissent des liens particuliers entre le continent noir et la France, comme ce fut le cas dans …have you hugged, kissed and respected your brown Venus today ? (2011), évoquant les violences faites aux femmes à travers l’histoire de Sarah Baartman (ca.1789-1815) – esclave de la tribu Khoïkhoï devenue phénomène de foire, objet sexuel puis pièce de musée à Paris –, et comme s’y emploie aujourd’hui Oh Louis… we move from the ballroom to hell while we have to tell ourselves stories at night so that we can sleep… (2017).
Pourquoi ce nouveau travail centré sur le Roi-Soleil (1638-1715), homme de plaisirs et de guerre qui régna soixante-douze ans ? La native de Johannesburg explique : « je suis fascinée par la façon dont Louis XIV a créé des danses de cour que les personnalités désirant être importantes se devaient de connaître. Vous n’étiez rien aux yeux du roi qui par ailleurs avait ainsi trouvé un moyen de contrôler son royaume, si vous ne saviez pas danser. Est-ce que ce type de système pourrait encore marcher ? Est-ce qu’il y en a des traces dans la culture française ? L’exclusivité et la perfection persistent-elles ? » (brochure de salle).
Robyn Orlin traite de la représentation de la culture et du pouvoir pérenne de la danse classique avec l’appui de Benjamin Pech, Étoile qui défendit à l’Opéra national de Paris des classiques romantiques ici revisités (La belle au bois dormant, Le lac des cygnes). Assis au premier rang d’orchestre, Benjamin/Louis accueille le public de la matinée, le met à l’aise… ou en boîte. Sans cesse il passe de la salle à la scène, tantôt retraité qui prend du ventre mais connaît encore ses figures (pas de basque, sissonne, assemblé), tantôt souverain qui, effondré d’ennui, cherche l’amour du peuple ou celui d’une reine. Benjamin anime un cours de dégustation d’orange (fruit fétiche de la chorégraphe), tandis que Louis, rentré d’Afrique parmi des réfugiés sans papiers, reste sourd aux abjections du Code noir (1685).
Si l’article 44 rédigé par Colbert compare l’esclave à un meuble, Oh Louis… fait d’un danseur « un homme qui marche et qui parle » – pour reprendre les mots de Pech, au lendemain de ses adieux à Garnier (février 2016). Sans la virtuosité corporelle d’un ballet, le spectacle d’une heure et quart repose sur le charisme d'un bateleur qui récite, improvise et filme avec une caméra-miroir à main des détails agrandis sur l’écran circulaire dominant la scène. Il y a un socle de critique sociale, heureusement beaucoup d’humour (autodérision, moqueries), mais tout cela ne remue pas en profondeur.
En fond de scène, derrière l’immense voile doré qui enveloppe notre monarque tape-à-l’œil ou engloutit une farandole de manteaux colorés (symbole d’espoirs migratoires brisés par la houle), Loris Barrucand livre au clavecin des moments dignes, souvent nimbés de mélancolie. À la place d’un Lully attendu – mais, il est vrai, peu fréquenteur de l’intime –, François Couperin s’y fait la part belle (Les satires, Les idées heureuses), lui-même célébré par Antoine Forqueray (La Couperin), ainsi que Pancrace Royer (L’aimable). Notre temps y trouve sa place avec deux extraits : l’un d’un solo signé Louis Andriessen (né en 1939), Overture to Orpheus (1982) ; l’autre du mythique Dancing Queen (1976) d’ABBA, quintessence d’un disco qui, lui aussi, sublima la danse et la paillette.
LB