Chroniques

par laurent bergnach

Octobre 1917, une révolution en images – épisode 1
cycle de films russes en ciné-concert

Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, Paris
- 11 octobre 2017
Octobre 1917, un cycle de films russes en ciné-concert à la Fondation Jérôme Sey
© dr

À l’occasion du centenaire de la Révolution russe, la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé propose, depuis le 29 septembre dernier et jusqu’au 20 octobre, une sélection de plusieurs fictions issues du catalogue Arkeïon, lequel compte plus de mille films en 35mm produits dans l’ex-URSS, rachetés par Gaumont en 2007. Le pouvoir ayant très tôt misé sur le cinéma, pour l’éveil de la conscience de masse et la construction d’un imaginaire autour de la fin du tsarisme, nombre d’entre elles vantent un monde à bâtir, sans entrave… jusqu’à la mise sous tutelle stalinienne. Les années vingt représentent un âge d’or dont nous découvrons aujourd’hui deux pépites, à 14h puis 16h.

En 1926, Vsevolod Poudovkine (1893-1953) présente La mère (Мать), inspiré du roman éponyme de Maxime Gorki (1907), où Vera Baranovskaïa incarne une ouvrière effrayée puis séduite par l’idéalisme de son fils, lors des émeutes de 1905. Un an plus tard, on retrouve l’ancienne élève de Stanislavski dans La fin de Saint-Pétersbourg (Конец Санкт-Петербурга) dont Ivan Tchouvelev est le héros sans nom [photo]. À travers ce jeune paysan fuyant la misère, on assiste à l’arrivée en ville d’un nouveau prolétariat, manipulé pour briser les grèves d’ouvriers fourbus. L’homme naïf frappe-t-il un patron glacial ? Il est tabassé par la police puis envoyé au front de la Grande Guerre – l’occasion de s’enrichir et d’éteindre les braises du Dimanche rouge pour les uns, pour les autres un quotidien de fange et de Flammenwerfer. Blessé puis captif, Poudovkine la connut bien assez pour en montrer toute l’horreur, sur les pas d’Abel Gance (1919) [lire notre chronique du 8 novembre 2014].

Jouant le Yamaha G1 quart de queue de la petite salle de projection, Masanori Enoki accompagne avec nuance la tristesse des adieux ruraux, le faste pompeux citadin et la recherche d’un ancien du village. D’un rythme plus soutenu, il suggère ensuite affairement des ouvriers d’usine, affairisme des actionnaires, tension de pourparlers, enthousiasme d’un départ guerrier, révolte de femmes affamées et poursuite d’un fugitif. Seules l’aisance raffinée des nantis, la tendresse d’un univers domestique et le calme offert par la lune soulage un peu la tension omniprésente. Un silence fait aussi son effet, juste avant le coup de canon qui signe l’attaque du Palais d’Hiver.

Qui serait rebuté par le titre du second film au programme, Dentelles (Кружева, 1928), se priverait d’un chef-d’œuvre de charme visuel et d’humour. Pourtant, le sujet ne prête pas à rire puisqu’il évoque l’hooliganisme, terme pas encore associé à la violence sportive mais à tout comportement asocial et sauvage. Comme l’évoque Valérie Pozner en amont de la projection, les bandes qui subissent la misère et l’ennui se multiplient dans les grandes cités auquel le gouvernement ne s’oppose pas franchement, par proximité de classe. Un scandale de viol collectif (Affaire de la rue Tchoubakov) mettra fin, par la mort et l’emprisonnement, à cette complaisance.

Pour son premier film tiré d’un roman de Mark Kolosov, Sergueï Ioutkevitch (1904-1985) n’a pas encore choisi Lénine comme personnage principal. Il préfère les figures populaires de Maroussia (Nina Chaternikova), jeune komsomol confrontée à la toute-puissance du directeur de publication d’un journal mural au sein d’une fabrique de dentelles, et de Petka (Konstantin Gradopolov), vigoureux marteleur bien décidé à ne plus traîner avec des vauriens qui lui font honte. Leur histoire est sans cesse mise en relief par une caméra tête en bas ou balancée sur une échelle de corde, fixant une bagarre dans le reflet d’une flaque ou un visage anamorphosé lors d’un cauchemar, mais aussi cible de choix pour un jet de boue rageur !

Comme son confrère, Satsuki Hoshino est issue d’une des classes d’improvisation du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Elle use de petits mouvements perpétuels pour les métiers à tisser ou les pantins de fête foraine, mais refuse de singer les instruments successifs (flûte, guitare, accordéon, orchestre du bal). De façon générale, elle entretient la demi-teinte pour peindre une berge ensoleillée ou une nuit d’orage, mais surtout la mélancolie de nos deux amoureux qui se tournent autour, sans trop savoir si faire confiance ou changer de mode de vie vaut vraiment le coup. Pourtant, s’y efforcer conduira au bonheur individuel autant que social.

LB