Chroniques

par david verdier

Nono | Liszt, programme 1
Quatuor Diotima, François-Frédéric Guy, André Richard

Cité de la Musique, Paris
- 8 mars 2011
Le compositeur italien Luigi Nono, photographié à Venise
© dr

En programmant le nom de Ferenc Liszt aux côtés de celui de Luigi Nono, il y avait fort à parier qu'on allait devoir subir les affres du strabisme programmatique en vogue ces temps-ci. Pour vérifier cette acrobatie pédagogique, il suffit de se pencher sur les premières lignes des notes de concert : « Pour Franz Liszt, la foi est un engagement de l'être tout entier. Pour Luigi Nono, l'engagement est une foi qui, elle aussi, implique l'artiste et sa production ». Dont acte.

Il serait fâcheux de s'arrêter à l'enrobage pour ne pas prendre plaisir à découvrir des œuvres assez rarement données en concert, à commencer par le quatuor Fragmente-Stille, an Diotima de Luigi Nono. Difficile de trouver pour cette partition de meilleurs interprètes que le jeune quatuor éponyme formé en 1996. Malgré plusieurs remaniements (respectivement le premier et le second violon), elle demeure leur cheval de bataille et figure parmi leurs plus beaux enregistrements.

Si Luigi Nono fait appel pour la première fois à un effectif classique, c'est avant tout par intérêt pour cette quintessence orchestrale, ramenée à l'essentiel. Les fragments de poésie d'Hölderlin servent d'indications psychologiques destinées à être lues mentalement, comme un pur cérémonial ésotérique autour de la thématique du silence, en quête, selon les propres mots du compositeur « des harmonies délicates de la vie intérieure ». Les éléments erratiques de modes de jeu semblent surnager comme des mots à la surface d'une page progressivement envahie par le blanc typographique. Cette rupture de linéarité provoque chez l'auditeur un sentiment de décrochage avec l'écoulement réel du temps. Les Diotima n'ont pour seule ennemie que la sécheresse acoustique redoutable de l'Amphithéâtre. Dans un tel contexte, une tension palpable émerge de l'impeccable mise en place à travers laquelle se révèlent ce que Nono appelle des couches de sens.

Autre pari de cette soirée, l'interprétation de …sofferte onde serene… pour piano et bande, par François-Frédéric Guy. Mieux connu sous des latitudes romantiques, notamment par le disque, le pianiste français aborde cette œuvre avec la concentration requise. On devine vite qu'il ne s'agira pas de rivaliser avec l'ombre portée de Maurizio Pollini, présent à travers la bande électronique diffusée en temps réel. Là où Pollini fait corps avec son instrument, François-Frédéric Guy le surplombe et le tient à distance. Cette approche n'est pas insupportable mais surprend par son classicisme quasi-chambriste, bien éloignée de l'expérience (littéralement performance ?) existentielle que propose le dédicataire. Le déploiement de l'analyse spectrale de l'instrument se conforme à une fidélité linéaire et très sage du support électronique. C'est rigoureux de mise en place mais fort peu charismatique.

Agréger à un tel programme la Sonate en si de Liszt : aberration ou mauvaise idée ? La question reste en suspens. Il y a deux façons de considérer le problème : imaginons une interprétation extraordinaire qui aurait eu le tort de saturer la capacité de l'auditeur à l'apprécier ; deuxième scénario : une interprétation catastrophique qui aurait conforté les détracteurs à reprocher la trop grande proximité entre …sofferte onde serene… et la Sonate. Une troisième option s'est dessinée ; on ne finira jamais de louer les mérites de la si bien nommée musique vivante.

L'entracte, prévu à l'origine pour séparer le quatuor des pièces pour piano, fut déplacé pour isoler une partie Nono et une partie Liszt (comment imaginer raisonnablement que François-Frédéric Guy aurait pu enchaîner ces deux sommets, de niveau de difficulté et d'atmosphère si différents ?).

La Sonate en si offre à l'auditeur une architecture abstraite, loin de tout prétexte narratif mais portée par un continuum émotionnel et motivique. Ce flux tendu est extrêmement difficile à rendre, surtout dans le cadre d'une interprétation en concert. François-Frédéric Guy a toutes les bonnes intentions du monde, mais cela ne suffit pas à surmonter les pièges d'une partition aussi injouable. La construction des plans sonores et la maîtrise des atmosphères polychromes semblent manquer. Le pianiste plonge les passages expressifs dans une componction digitale quasi-sulpicienne (le cantando espressivo en ré majeur par exemple). Les trilles s'enroulent tels des pampres autour du support thématique, avec un apprêt peu probant. La tension et les risques pris dans la première partie ne suffisent pas à faire oublier les difficultés à élever le propos dès que la partition l'exige (notamment l'inégal prestissimo fuocoso dans la partie médiane).

Nulle consolation – hélas – dans l'extrait des Harmonies poétiques et religieuses (n°6 : Hymne de l'enfant à son réveil) donné en bis. La candeur mielleuse y est à son comble, la soutane perce sous le frac.

DV