Chroniques

par bertrand bolognesi

Nikolaï Luganski et l’Orchestre de Paris

Théâtre Mogador, Paris
- 12 mars 2003
le chef finlandais Salari Oramu dirige l'Orchestre de Paris
© dr

Programme russe à Mogador. Pour commencer, le Concerto pour piano en ré mineur Op.30 n°3 de Sergeï Rachmaninov, dans une interprétation d'une grande noblesse signée Nikolaï Luganski dont on suit passionnément l'évolution au fil de ses différentes lectures de l'œuvre. S’il se montrait volontiers lyrique et un brin cabot dans l'enregistrement qu'il fit avec Ivan Shpiller en 1995, il présentait une version plus tenue en janvier 2001 aux Folles Journées de Nantes avec Alexandre Dmitriev. Ce soir, il surprend par une pudeur tendue qui a l'avantage de faire entendre génialement la structure de l'œuvre, articulant précisément chaque appogiature, sans ralentis excessifs. La partie solo du premier mouvement ne garde pas la moindre trace d'emphase, et apparaît assez justement comme une rêverie mesurée, avec un retour calme au thème.

D'une exquise clarté, le son de Luganski prend le devant de la scène en une lente ascension jusqu'au Finale. Son jeu effleure à peine le sentimentalisme de Rachmaninov sans basculer jamais dans la trop fréquente mièvrerie dont on l'affuble régulièrement. La direction du chef finlandais Sakari Oramo [photo] se révèle finement contrastée, quoiqu’affichant une légère tendance à se laisser aller vers le kitsch. Ils viennent tous deux de graver l'œuvre, avec le Concerto en fa # mineur Op.1 n°1.

En deuxième partie, l'Orchestre donne Manfred Op.58 de Piotr Tchaïkovski.
On sait le défi lancé par Balakirev : composer une « symphonie fantastique russe », reprendre la recette berliozienne au compte du nationalisme musical des Cinq. Tchaïkovski s'y essaya, y parvint assez habilement, mais en produisant une pièce longue qui s'essouffle vite. Sakari Oramo sombre gentiment dans tous les pièges de cette musique. Ainsi la dynamique semble-t-elle molle, voire liquide, dans l’absence de contraste de sa lecture qui concentre toutes les forces sur l'impossible alimentation continue d'un lyrisme épuisant. C'est dommage, car ce chef possède par ailleurs de grandes qualités, mais les choix d’interprétation ne sont pas judicieux.

Nous ne croyons pas que la musique de Tchaïkovski soit facile, encore moins facile à diriger, et qu'elle se contente d'une bonne louchée de béchamel : c'est un travers dans lequel tombent beaucoup de chefs, oubliant qu'au climax romantique coexistait une admiration pour les maîtres classiques. L'équilibre entre ces deux pôles n'est pas aisé à maintenir.

BB