Chroniques

par laurent bergnach

Nanook of the North | Nanouk, l'Esquimau
film de Robert J. Flaherty – musique de Thierry Pécou

Auditorium du Louvre, Paris
- 8 décembre 2006
Nanook of the North (Nanouk, l'Esquimau), film de Flaherty et musique de Pécou
© dr

Une nouvelle saison Cinéma muet en concert s'ouvre à l'Auditorium, invitant Thierry Pécou à accompagner le film Nanouk, l'Esquimau (Nanook of the North), dans une copie restaurée par le British Film Institute d'après le négatif original. Présenté avec succès à New York en 1922, puis en Europe, ce documentaire-fiction de Robert J. Flaherty est le fruit d'un travail de quinze mois auprès du peuple Inuit. On y suit la vie quotidienne d'Allakarialluk – rebaptisé pour l'occasion Nanouk, nom formé à partir de Inuk (homme) et Nanoq (ours) –, ou plus exactement celle que menèrent ses ancêtres durant des siècles. Cette reconstitution nous montre l'homme occupé à sa survie, laissant une large place à la pêche et à la chasse (poisson, morse, phoque, renard) ainsi qu'à la construction d'un abri. Quelques moments de détente, comme la découverte du gramophone, les glissades ou l'apprentissage du tir à l'arc viennent égayer cette existence en milieu hostile.

De même que le réalisateur s'attache à la peinture exacte et favorable des peuplades rencontrées jusqu'à son dernier film (1948) – les Maoris, par exemple –, Pécou témoigne d'un grand intérêt pour les sonorités non occidentales, opérant une rencontre entre langage contemporain et tradition. Il explique : « Voix chantées ou parlées, jeux de gorge, bruits et cris de l'environnement, des oiseaux, des animaux, nourrissent l'imaginaire d'une musique qui exprime l'arrière-plan animiste de cette culture du Grand Nord Canadien que Flaherty filme avec fascination et minutie, tendresse et amusement ».

Sous sa direction, quatre musiciens de l'Ensemble Zellig évoquent un univers riche en vibrations graves – rugosité et plainte d'un violoncelle (quelques accents d'Europe de l'Est), granulosité du trombone bouché et de la clarinette contrebasse, de même que lente battue d'un grand tambour dont s'empare épisodiquement le compositeur. La flûte apparaît souvent dans des passages répétitifs pour souligner l'ennui, la tension et la douleur de ces moments à attendre une proie hypothétique. Avec quelques concessions au réalisme en bande son (crépitement du feu, bruit du vent, voix étouffées), la partition sublime la mélancolie de ces paysages glacés où la neige d'une nuit peut transformer les chiens de traîneau en reliques de Pompéi.

LB