Chroniques

par bruno serrou

Mysteries of the Macabre de György Ligeti

Présences / Théâtre du Châtelet, Paris
- 18 février 2011
© dr

Il est des concerts qui demeurent pour quelques minutes. Tel est le cas de celui qu’Avanti! a proposé ce vendredi au Théâtre du Châtelet dans le cadre du festival Présences de Radio France. Créé en 1983 par Esa-Pekka Salonen, Jukka-Pekka Saraste et Olli Pohjola, l’ensemble finlandais est assurément l’un des meilleurs orchestres de chambre d’Europe en matière de musique contemporaine. Ses musiciens, cordes et vents, mais aussi percussion, en ont fait la démonstration ; l’on se demande pourquoi il aura fallu attendre vingt-huit ans pour l’entendre à Paris.

Festival Salonen oblige, ce concert s’ouvrait sur une pièce du compositeur chef d’orchestre finlandais, Memoria pour quintette à vent, donné en création française. Commande d’Avanti! qui le créa le 30 novembre 2003 à Helsinki, ce mouvement unique d’une douzaine d’interminables minutes recycle un matériau composé vingt ans plus tôt et laissé à l’abandon pour cause de « crise esthétique », au point qu’il ne reste rien de la quête initiale, l’œuvre définitive sombrant dans une expression néo-classique pour évoquer quelques souvenirs « doux-amers » ainsi que la mort de Luciano Berio, à la façon du finale de « la Symphonie d’instruments à vent de Stravinsky, où le compositeur pleure la mort de son ami Debussy » (Salonen).

De fait, l’une des œuvres de Stravinsky concluait la première partie de cette soirée : Renard, « histoire burlesque jouée et chantée pour deux ténors, deux basses et ensemble » de dix-sept musiciens, composée en 1915-1916 sur un texte de Charles-Ferdinand Ramuz, collaborateur du musicien pour Histoire du Soldat (1917). Puisé dans le patrimoine populaire russe, ce ballet met en scène un renard (ténor) qui s’attaque à un coq (ténor) en se déguisant en religieuse puis en mendiante. Un chat (basse) et un bouc (basse) tentent de l’en empêcher et finissent par le tuer. L’œuvre a été créée par les Ballets russes le 18 mai 1922 à l’Opéra de Paris, dans une chorégraphie de Bronislava Nijinska. Dirigée avec précision mais de façon un peu lourde et métronomique par la cantatrice Barbara Hannigan, Renard a permis de mesurer combien le néo-classicisme de Stravinski est novateur, de goûter la richesse sonore d’Avanti! et les timbres séduisants des ténors Daniel Norman et Michael Benett, tandis que ceux des deux basses Roderick Williams et Ilya Bannik manquaient de chair.

Les Six Pièces pour quintette à vent du Suédois Anders Hillborg (né en 1954) sont dans l’esprit du Stravinski de la période néo-classique, l’imagination en moins. Homunculus pour quatuor à cordes de Salonen composé en 2007 pour le Quatuor Johannes se réfère à « l’obscure théorie biologique de la préformation qui, au tournant du XVIIIe siècle, prétendait que les spermatozoïdes abritaient des fœtus entiers (ou homoncules, répliques miniature des êtres en gestation) », Salonen signifiant ainsi que son petit quatuor à cordes a tout d’un grand. Sauf qu’il y manque l’inventivité et le renouveau du propos.

En fait, le concert aura valu pour les neuf minutes de la partition à le conclure, neuf minutes inouïes d’une musique hilarante, explosive, jouissive, créative au possible tout en ne se prenant en aucun cas au sérieux, jouée et chantée avec un bonheur communicatif et une grâce époustouflante : Mysteries of the Macabre de György Ligeti [photo], œuvre créée le 20 janvier 1994 à Radio France, imaginée d’après Le grand macabre, opéra que le Hongrois a composé en 1974 et retravaillé en 1992 dont elle reprend trois airs. L’orchestration des Mysteries est signée Elgar Howarth, créateur de l’ouvrage à l’Opéra de Stockholm en 1978. En collaboration avec Ligeti, ce dernier a choisi d’adapter pour soprano et orchestre de chambre trois des airs de l’opéra qui, utilisant le cri, le chuchotement, l’onomatopée et le chant, en présentent une remarquable synthèse. La performance fut d’autant plus impressionnante que le soprano Barbara Hannigan chanta ces airs d’une difficulté extrême avec une aisance phénoménale, tout en dirigeant avec enthousiasme l’ensemble instrumental et en jouant avec un naturel confondant ; elle apparaissait dans un immense manteau seyant et terminait dans une minirobe de cuir, la tête recouverte d’une perruque façon Lulu de Louise Brooks ou Cléopâtre…

BS