Chroniques

par bertrand bolognesi

musiciens de l'Orchestre de l'Opéra de Rouen Haute-Normandie
œuvres de Samuel Barber, Elliott Carter, Aaron Copland et Steve Reich

Opéra de Rouen Haute-Normandie
- 3 février 2005
le compositeur américain Aaron Copland (1900-1990)
© dr

Quatre fois dans la saison, les musiciens de l'Orchestre de l'Opéra de Rouen Haute-Normandie proposent un concert chambriste (donné deux soirs de suite), en correspondance avec la programmation de la maison (de préférence, mais pas systématiquement). Ainsi ne s'étonnera-t-on pas d'un thème sur Vienne (30 et 31 mars prochains), entre les représentations de l'Elektra de Strauss, la Symphonie n°4 et Das Lied von der Erde de Mahler, au printemps. La présente soirée New York prépare ingénieusement le public au vaste parcours de demain soir – une Nuit américaine concoctée par l’ensemble Ictus.

Outre que nous ne sommes pas dans la grande salle mais dans le foyer, où une petite scène tout exprès conçue à cet usage casse la symétrie de l'escalier central, l'habituel cérémonial du concert est d'autant mieux brisé que la première pièce au programme commence en coulisses – soit derrière un paravent. Il s'agit de Clapping Music, écrit il y a plus de trente ans par Steve Reich. Deux musiciens frappent dans leurs mains en répétant des motifs rythmiques, de sorte qu'ici, le public a tout à coup l'impression qu'ils sont venus l'applaudir depuis la scène. Cette délicieuse incongruité amorce avec un humour sympathique l'exécution du Quatuor en si mineur Op.11 de Samuel Barber, plus « sérieux ». L'interprétation de Bertrand Mahieu et Elena Pease aux violons, Stéphanie Lalizet à l'alto et Anaël Rousseau au violoncelle, s'engage avec une belle tonicité dans la couleur dramatique du Molto allegro e appassionato qui ouvre cette page, faisant entendre tout ce que la musique américaine doit à Dvořák. Fort contrastée, leur lecture inquiète amène tout naturellement le second mouvement : le très célèbre Adagio par lequel Barber est connu du plus grand nombre, et dont il écrivit une version pour orchestre à cordes. L'exécution en est plutôt retenue, parfois même tendue, loin de toute emphase. Faire la relation d'une catastrophe naturelle ou d'un crime terrible sans verser une larme et d'une voix ferme est toujours plus émouvant que toute démonstration d'un sentimentalisme douteux. La couleur est raffinée, la nuance savamment maintenue sur la durée, et l'on goûte particulièrement le beau travail de l'altiste pour la seconde exposition du thème. Aucune lamentation : c'est une énergique douleur sans plainte que l'on entend. Le bref troisième épisode (Molto allegro. Presto) est directement enchaîné : trop peu contrasté, comme encore sous le choc de la partie centrale, il déçoit un peu. Une seule réserve : les interventions du violoncelle manquent de précisions et frôlent parfois des approximations assez disgracieuses.

Après un court entracte, le percussionniste David Dewaste (l'un des personnages de l'œuvre de Reich) explique aux auditeurs les Huit pièces pour quatre timbales écrites parElliott Carter à partir de 1949. On ne répétera jamais assez à quel point de tels apports pédagogiques sont importants : ils offrent au public des clés d'écoute qui l'aident à entrer plus aisément dans l'univers d'un compositeur. Ce soir, le musicien situe l'auteur, le contexte américain de son époque, mais aussi évoque la place des timbales dans l'histoire de la musique, et même les diverses techniques de jeu, tout en illustrant son propos d'exemples sonores soulignant tant les hommages au passé que Carter y mit que ce par quoi il innovait alors. Puis il joue trois pièces extraites des huit : d'abord Saëta (n°1), très virtuose et qui développe des couleurs fort intéressantes, puis la plus délicateImprovisation (n°4), fort nuancée, et enfin l'énergique Canaries (n°7).

Pour conclure, la scène est occupée par la formation quatuor entendue tout à l'heure, moins Elena Pease remplacée par Alice Hotellier, à laquelle s'ajoutent Naoko Yoshimura à la clarinette et Laura Fromentin (l'autre personnage de Reich) au piano, pour le Sextuor achevé par Aaron Copland [photo] en 1937. Les artistes se lancent avec une certaine hargne dans un Allegro vivace mordant, la fermeté et la précision du piano faisant alors figure de socle en béton armé, appuyant ses capacités de contraste sur une parfaite réalisation des différentes frappes. Les trois mouvements s'enchaînent sans interruption : le Lento central s'étire raisonnablement jusqu'à l'élégant Precise and rhythmic qui clôt la soirée dans une clarté sonore caractéristique par un tendre rebondissement.

BB