Chroniques

par laurent bergnach

Modern Times | Les temps modernes
film et musique de Charles Chaplin

Cité de la musique, Paris
- 24 octobre 2006
Modern Times (Les temps modernes), film et musique de Charles Chaplin
© dr

Au début des années trente, à Hollywood ou en tournée en Europe, Charles Chaplin s'inquiète des conséquences de la Grande Dépression, du chômage, de l'automatisation à outrance et de la montée des nationalismes qui accompagne toute période d'incertitude.Les Temps modernes (Modern Times), tourné en noir et blanc de septembre 1933 à janvier 1936, tient compte de ces observations et de ces craintes. Pour sa dernière apparition à l'écran, Charlot, le petit vagabond, se retrouve ouvrier d'usine conduit à l'aliénation par des tâches monotones et déshumanisantes.

Ce n'est que le début de cette comédie politique en quatre parties : avec la Gamine – jeune fille dont le père vient d'être tué dans une manifestation de travailleurs, qui vole pour survivre –, il traverse plus d'une épreuve, passant de la prison à la recherche d'un nouvel emploi, luttant contre les services sociaux ou cherchant un toit pour deux. Ni rebelles, ni victimes, ils sont pour leur créateur « deux esprits libres dans un monde d'automates », plus à leur place dans le monde du spectacle que dans celui de l'industrie.

À l'époque, depuis un moment déjà, le cinéma était engagé dans la voie du parlant. Producteur, réalisateur et scénariste de son film, conscient de la portée universelle de l'art de la pantomime, Chaplin continue de résister à l'usage du dialogue. Même s'il fit quelques essais d'échanges parlés, il ne garde pour Les Temps modernes que la musique et les effets sonores (dont la voix des oppresseurs de l'usine, directeur et représentant de commerce). Est-ce parce qu'elle est vide de sens que la chanson de Charlot au cabaret a le droit de résonner à nos oreilles ?

Comme pour son précédent film Les Lumières de la ville (1931), le comédien compose lui-même la bande-son. S'il ne sait ni lire ni écrire la musique, il possède une bonne oreille qui le rend habile au violon, au violoncelle et au piano, et il arrive à ses fins grâce à l'aide d'orchestrateurs et d'arrangeurs – ici David Raksin et Edward Powell. La partition originale ayant été constamment révisée pendant les six semaines de son enregistrement, il fallut quatorze mois à Timothy Brock pour sa restauration et sa reconstitution – souvent à partir d'annotations des instrumentistes sur leurs propres parties –, donnant ainsi au public une version plus longue qu'à l'accoutumée.

« C'est de la musique que provient l'émotion de mes comédies », écrit Chaplin en 1964, préférant « un contrepoint charmant et solennel » plutôt qu'une musique amusante. À la tête de l'Orchestre de la Radio Flamande, avec un indéniable sens du rythme, Carl Davis donne beaucoup de relief aux cuivres ronds, aux cordes moelleuses.

LB