Chroniques

par bertrand bolognesi

miniatures chambristes inattendues
des œuvres de Brahms, Darbellay, Hersant et Villa-Lobos

Académie Festival des Arcs / Chapiteau Arc 1800
- 21 juillet 2004
le compositeur Philippe Hersant, joué en 2004 à l'Académie Festival des Arcs
© philippe grollier

Comme c'est ici la règle, quelques-uns des enseignants de l'Académie Festival des Arcs donnent ce soir un concert de musique de chambre sous le Chapiteau d'Arc 1800, faisant la part belle au répertoire d'aujourd'hui. Pour commencer, les cornistes Jacques Blanc et Florian Dzierla jouent Signal pour deux cors naturels, écrit par le compositeur suisse Jean-Luc Darbellay et dédié à son fils qui précisément pratique cet instrument à l'origine du cor moderne (à piston) que nous connaissons. La pièce fut créée à Berne en 1996. Brillamment interprété, Signal s'organise en plusieurs périodes enchaînées : d'abord un jeu d'écho (pas vraiment un canon), ensuite un épisode de notes lentes imitées parallèlement à intervalles réguliers, puis une reprise des appels du départ, cette fois contrepointés, pour finir en une brève coda.

Nous entendons ensuite Louis Fima à l'alto et Carlo Colombo au basson dans le Duo Sefardim (le titre est un clin d'œil à un motet des Vêpres de la Vierge de Monteverdi) écrit il y a une dizaine d'années par Philippe Hersant [photo]. L'association de ces deux instruments est assez inhabituelle. On constate de nombreux points communs dans le medium qui permettent de transmettre avec la sensibilité idéale et une couleur un rien nostalgique cette pièce qu’habite une ancienne chanson séfarade. Le public apprécie l'approche minutieuse de cette partition et le moelleux incomparable du jeu du bassoniste.

Plus connu pour ses Bachianas brasileiras ou les Chôros, Heitor Villa-Lobos, le compositeur brésilien admirateur de Bach, écrivait Assobio un Játo pour flûte et violoncelle en 1950. Frédéric Berteletti et Raphaël Chrétien conjuguent leurs talents tout au long des trois mouvements de cette élégante pièce. L'Allegro non troppo s'ouvre avec une saisissante élégie du violoncelle, ponctuée de notes répétées à la flûte, puis inverse la figure, la flûte devenant alors le personnage principal tandis que son partenaire installe les cadres harmoniques et rythmiques. Au centre, un Adagio en duo véritable où chacun chante dans une tristesse sans emphase, effilochant les thèmes respectifs en une de ces descentes chromatiques typiques de l'écriture de Villa-Lobos. La dernière partie (Vivo) est une virevoltante mélodie ornée à la flûte, soutenue par un rugueux ostinato du violoncelle ; lorsque celui-ci se met à son tour à « ouvrir la tête », l'autre s'échappe en une vocalise anecdotique avant d'inverser les rôles, selon le modèle du premier mouvement. Raphaël Chrétien offre alors un violoncelle magnifiquement lyrique. Pour finir, les traits d'accompagnement mutuel s'accumulent, passant par l'ombre d'une valse à peine amorcée.

La soirée s'achève avec la Sonate pour violoncelle et piano en fa majeur Op.99 n°2 que Johannes Brahms terminait à Vienne en 1886. Le pianiste Pascal Godard développe une délicatesse extraordinaire, soignant un son volontairement feutré, en parfaite adéquation avec la lecture pudique et toute intériorité de Raphaël Chrétien qui, dans l'Adagio affettuoso, ose des pianissimi aux confins du silence. Ce deuxième mouvement, avec des pizz' fort prononcés, presque violents, est traversé d'une grâce qui laisse le public pantois. Bien que plus enlevé, le troisième hérite de la gravité du précédent, plus inquiet que d'habitude. Mais il ne sert à rien de tenter de dire l'indicible : gardant ses mystère, l'interprétation de ce soir ne se laissera pas disséquer par les mots et pourrait bien faire douter de la mission du critique !... Pas de véritable optimisme ou sérénité dans l'arrivée du thème plus aérien de l'Allegro final : la couleur générale reste énigmatique jusque dans les derniers traits qui se gardent bien, si brillants qu'ils soient, de tout triomphalisme.

BB