Chroniques

par marc develey

Mikko Franck dirige l'Orchestre national de France
œuvres de Chostakovitch, Prokofiev et Rautavaara

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 2 février 2006
le Finlandais Mikko Franck dirige l'Orchestre national de France à Paris
© dr

L'Adagio céleste du finlandais Einojuhani Rautavaara ouvre la soirée sur un climat mélancolique qu'elle ne gardera pas bien longtemps. Construit comme une longue respiration, cette pièce pour cordes déploie quelques minutes d'un lyrisme élégiaque. Mikko Franck entretient un son très tenu, les valeurs longues faisant l'objet de traitements différenciés entre le début et la fin de l'œuvre (attaque imperceptibles et crescendo progressif, attaque franche et lent diminuendo, respectivement), peut-être afin de mieux dénoter les fonctions consolatrice et terrible de l'ange qu’elle évoque (selon le compositeur).

On retrouve ces qualités dans la suite du concert, sans l’atmosphère rêveuse que le mordant du Concerto pour piano et orchestre en sol majeur Op.55 n°5 de Sergueï Prokofiev et la hargne de la Symphonie en mi mineur Op.93 n°10 de Dmitri Chostakovitch ne permettent assurément pas. L'Orchestre national de France prête au chef un nuancier riche et souple (si ce n’est une clarinette à l'acidité parfois moins convaincante) qui lui permet un très impressionnant travail de texture. Donnée en seconde partie de concert, la Dixième de Chostakovitch profite de ce matériau pour unifier ses contrastes : travail du son jusqu'en cœur de note (passage forte/piano en milieu de valeur longue dans l'ouverture Moderato), grande qualité des parties concertantes (flûtes au début de l'Allegretto), dynamique irrésistible des tutti fortissimo du Moderato et de l'Allegro final, et partout la couleur toujours renouvelée des plans sonores. La grande cohérence de la lecture maintient ainsi dans l'unité d'un son et d'une très juste intensité dramatique l'élégie cassée de ruptures abruptes du Moderato, la rage étourdissante de l'Allegro, les danses grotesques et désespérées de l'Allegretto, la désolation de l'Andante et l'ultime énergie de l'Allegro finale. Et si parfois tel pupitre accuse un départ moins franc, la tenue de l’interprétation demeure cependant remarquable.

Ces beaux atouts, l’opus 55 de Prokofiev donnait déjà la primeure avant l'entracte, magnifiés encore par le jeu d'Alexandre Toradze. Sa rencontre avec Mikko Franck marque celle de grands stylistes attentifs à la texture musicale comme à ses transformations. Mariant le son du piano à la pâte de l'orchestre, le soliste intègre l'ensemble plus qu'il ne s'impose à lui, respectueux en cela d'une partition qui se plait à tuiler les plans portés par l'un et l'autre. Soutenu par un son d'une rare flexibilité – plein, porté ou piqué, liquide ou martelé, aux couleurs d'orgue, de clochette, de célesta, de flûte, etc. –, son jeu se montre tour à tour mystérieux ou démesurément percussif (Allegro con brio et Allegro con fuoco), joueur et langoureux (Moderato ben accentuato), endiablé (gammes du Vivo) ou rêveur (infinie ciselure du dernier arpège du Largetto), tout cela avec un naturel confondant, une justesse d'intention et une complicité avec le chef qui signent une très grande interprétation.

Alexander Toradze a la gentillesse d'accorder en bis un choral de Bach dans une transcription de Busoni. Son plein, soutenu par une pédale tirant le piano vers l'orgue – belle dignité d'une interprétation faisant de l'ornementation l’économie presque totale – et reprise pianississimo passant en délicatesse et en émotion tout ce que nous serions capable d'en écrire.

MD