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Messiaen, Lancino, Jolivet, Honegger
Orchestre Philharmonique du Luxembourg
Pour cette soirée quasi exceptionnelle, l’association Musique nouvelle en liberté reçoit l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg dirigé par le chef madrilène Arturo Tamayo. Ils donnent en création mondiale l’œuvre commandée à Thierry Lancino par cette même association. Une autre œuvre est attendue : le Concerto pour piano et orchestre d’André Jolivet, interprété par Marie-Josèphe Jude (ce concert, présenté par Lucie Kayas qui vient de faire paraître la biographie critique du compositeur aux éditions Fayard, étant donné dans le cadre de la célébration du centenaire de sa naissance).
Le programme débute par une partition de jeunesse d’Olivier Messiaen, Les offrandes oubliées, sa première œuvre orchestrale qu’i écrivit à vingt deux ans. Quelques années plus tard, il allait fonder, avec Baudrier, Jolivet et Daniel-Lesur, le groupe Jeune France afin de « propager une musique dans un même élan de sincérité, de générosité et de conscience artistique ». Première pierre à l’édifice de spiritualité bâti par Messiaen tout au long de sa vie de créateur, cette Méditation symphonique en trois brèves parties enchaînées – la Croix, le Péché et l’Eucharistie – sollicite à chaque étape un nouvel effectif orchestral pour camper des univers sonores tout en contraste. Si les deux premiers volets, notamment la partie centrale animée d’une sombre violence, captent l’écoute par la singularité des rythmes et des contours mélodiques, le dernier épisode, où le temps semble suspendu, paraît bien ennuyeux sous les archets mal assurés des premiers violons auxquels est confié ce chant d’élévation, sublime et radieux.
En création mondiale, le Concerto pour violon de Thierry Lancino, qu’Isabelle Faust défend à la force du poignet – l’énergie qu’elle y déploie est étonnante –, s’articule lui aussi en trois mouvements de durée décroissante : 16, 12 et 8 minutes. Venu de l’univers électroacoustique, Lancino (né en 1954), qui enseigne aujourd’hui aux Etats-Unis, s’oriente désormais vers la composition uniquement instrumentale où il opère un transfert des techniques de studio. Si le parti de la virtuosité technique et expressive propre au concerto y est pleinement assumé, la cohésion du discours entre le violon solo, constamment sollicité, et un orchestre un peu pataud qui semble toujours le submerger par un flot continu d’informations sonores, reste en revanche très problématique – mais il ne s’agit là que d’une première audition ! « Le violon, déclare le compositeur, est comme une sorte de nerf principal régulant les flux de l’orchestre. Ces derniers réagissent aux propositions du soliste qui, en retour, va recueillir ces réactions ». L’oreille, hélas, n’y perçoit souvent qu’une grande confusion et un long bavardage qui, malgré les efforts valeureux consentis par la soliste, finirent par lasser.
Peu joué jusque-là, le Concerto pour piano de Jolivet, qui débute la seconde partie de cette soirée, fut donné en création parisienne en 1951 dans ce même théâtre. Lucie Kayas relate l’hostilité et le scandale engendrés par la première interprétation strasbourgeoise qui fit connaître la pièce du jour au lendemain et lui garantit, en retour, un succès public indéniable. Commande de Henry Barraud, directeur de la musique à la RTF, l’œuvre, qui portera jusqu’à sa création le titre d’Equatoriales (on pense à Varèse), devait évoquer les musiques d’Afrique, d’Extrêmes Orient et de Polynésie. Sans jamais puiser véritablement dans un quelconque folklore, se nourrissant davantage de pulsions jazzy et d’une frénésie rythmique qui sollicite six percussionnistes pour vingt-neuf instruments. Tenu de main de maître par Marie Joseph Jude, le piano, souvent animé d’une ardeur farouche, rivalise avec la percussion et fait valoir sans faillir ses couleurs au sein d’un orchestre qui le traite sans ménagement. Si le climat se fait plus poétique dans le mouvement central, senza rigore, l’ardeur presque guerrière des deux volets extrêmes gagne tous les pupitres qui, portés par la pulsation régulière d’une walking bass de boogie-woogie, se lâchent enfin pour swinguer librement.
C’est peut-être dans la Symphonie n°1 d’Arthur Honegger (1930) que la phalange luxembourgeoise semble le plus à son aise, alliant précision et couleurs au sein d’un discours toujours très rigoureux qui s’épanouit en une fugue magistrale dans le dernier mouvement. Beaucoup plus en phase avec son orchestre, Arturo Tamayo livre une vision très maîtrisée de la partition, ménageant avec subtilité le retour de l’Andante tranquillo qui referme tout en douceur une symphonie que Florent Schmitt considérait comme l’œuvre capitale de son auteur.
MT