Recherche
Chroniques
Mese Mariano | Le mois de Marie, opéra d’Umberto Giordano
Suor Angelica | Sœur Angélique, opéra de Giacomo Puccini
L’empreinte de Stefano Mazzonis di Pralafera sur sa dernière saison à l’Opéra royal de Wallonie, que son décès prématuré le 7 février 2021, il y a tout juste un an, a empêché d’en être également le spectateur, s’illustre avec évidence dans le double bill vériste qu’il avait programmé au milieu de l’hiver. Dans ce couplage de deux opéras en un acte, Suor Angelica de Giacomo Puccini et le très rare Mese Mariano d’Umberto Giordano, on retrouve le tropisme italien qui prévalut à Liège pendant ces quinze ans, avec une curiosité qui ne se contente pas des seuls grands titres du répertoire, et qui, dans le paysage lyrique belge, s’est révélé parfaitement complémentaire des affinités plus avant-gardistes du Vlaamse Opera et de La Monnaie.
Pour autant, si la production réglée par Lara Sansone n’échappe pas à un certain littéralisme scénographique que ne trahiront pas les costumes dessinés par Teresa Acone, l’association des deux opus, autour d’une même thématique de la tragique spoliation de l’amour maternel sur l’autel des convenances morales et sociales, qui est apparue évidente à la metteure en scène napolitaine, met en avant, par-delà le pittoresque vériste, de douloureux accents de la condition féminine à l’intimité sans doute plus sensible, même aujourd’hui, que certaines mobilisations contemporaines. Sans se confondre, les destins de Carmela et d’Angelica présentent bien des parallèles. La première dut abandonner son enfant lors d’un remariage et le confier à une nourrice. À la mort de cette dernière, celui-ci est placé dans un orphelinat. Venue lui rendre visite pour le dimanche de Pâques, la mère ne pourra le voir : les religieuses lui cacheront que son fils vient juste de mourir. Fille-mère, l’héroïne de Puccini dut se réfugier dans un couvent, sur ordre de la famille. Après sept ans sans nouvelles des siens, sa tante vient lui faire signer l’acte de renonciation à l’héritage et lui apprend, incidemment, que son fils est mort il y a deux ans.
Dans l’un et l’autre ouvrage, la dramaturgie et la musique esquissent les menus détails de la vie ordinaire dans l’Italie du début du Novecento. Plus ramassé, l’acte de Giordano inscrit le résumé du destin de Carmela dans cette peinture, tandis que Puccini fait une véritable scène de genre avec une galerie de portraits miniatures des sœurs, avant la chute finale dans un puissant solo tragique. Sous les lumières pastel de Luigi della Monica, les décors de Francesca Mercurio invitent sur un promontoire de chartreuse de Mezzogiorno, en retrait de la vie du village, et servent d’écrin à une lecture fondée sur la sincérité de l’émotion et des interprètes.
Serena Farnocchia investit les remords de Carmela, et plus encore ceux de Suor Angelica, en s’appuyant sur le dramatisme d’un soprano qui n’alourdit ni n’oublie la plénitude musicale. Si, en Madre Superiora (Giordano), Violeta Urmana impose une autorité non dénuée d’inclinations oblatives, elle révèle une redoutable composition dans la cruauté de la Zia Principessa puccinienne. Dans Mese Mariano, Sarah Laulan endosse la bure de la Suor Pazienza qu’elle troque pour celle de la Zelatrice dans Suor Angelica. Dans le premier opus, Aurore Bureau apparaît sous le vêtement noble de la Comtesse quand, dans le second, elle affirme la main de fer de la Maîtresse des novices. Suor Cristina (Giordano), Julie Bailly incarne ensuite l’Abbesse et une des deux aspirantes aux côtés de Natacha Kowalski, Suor Maria dans Mese mariano où l’on entend également la fraîcheur de Morgane Heyse en Suor Celeste – elle est Suor Genovieffa après l’entracte – et l’unique intervention masculine de la soirée avec le Don Fabiano de Patrick Delcour.
Préparés par Denis Segond, les artistes du Chœur de l’Opéra royal de Wallonie complètent efficacement les effectifs monacaux et participent de l’atmosphère singulière des deux pièces, entre mélancolie et consolation, que distille l’Orchestre maison, placé sous la direction alerte et intelligente d’Oksana Lyniv, dont une Pucelle d’Orléans (Tchaïkovski) à Vienne avait déjà signalé les promesses et les qualités déjà accomplies [lire notre chronique du 27 mars 2019].
GC