Chroniques

par bertrand bolognesi

Max Emanuel Cenčić händélien
George Petrou dirige Armonia Atenea

Le triomphe de Händel / Galerie des Glaces, Château de Versailles
- 9 juillet 2012
le contre-ténor Max Emanuel Cenčić chante Händel au Château de Versailles
© dr

Après le Gala des quatre contre-ténors où, voilà deux semaines, il se produisait avec Xavier Sabata, Terry Wey et Vince Yi, Max Emanuel Cenčić retrouve le château, troquant l’élégant Grand Trianon pour la prestigieuse Galerie des Glaces. Dans la suite des héroïnes somptueusement véhiculée par Cecila Bartoli ici-même [lire notre chronique du 13 juin 2012], et toujours dans le cadre du Triomphe de Händel, l’artiste croate s’illustre dans un programme intitulé Héros Händéliens qui compte quelques huit arie.

L’orchestre grec Armonia Atenea initie le récital avec l’ouverture de l’opéra Alessandro, dans un moelleux plutôt « classique » qui, pour efficacement resserrer la tonicité du passage médian, ne cisèle guère les traits de bois. Il semble que George Petrou et ses musiciens soient décontenancés par l’acoustique particulière de la salle. De fait, de salutaires ajustages s’opèrent peu à peu au fil du concert, comme en témoignent les interprétations de deux pages instrumentales un peu plus tard.

Ainsi du Concerto grosso en ré mineur Op.6 n°10 HWV 328 qu’introduit une majestueuse ouverture à la française, d’abord un rien brouillée par des cordes graves trop musclées (dans l’Allegro central). La sorte de suite de danses développée par l’œuvre rectifie parfaitement les équilibres. On goûte alors un Air, subtilement articulé en sarabande avortée, qui laisse entendre le délicat tricot du clavecin. Sa gravité de ton transpire sur le mouvement suivant, une fluide allemande enlevée, « pneumatique ». Une effervescence judicieusement emphatique gagne la courante, bondissant dans ses quasi-canons dans une nuance déclinée avec brio. La rousseur du couchant envahit le lac des miroirs pour la gavotte finale, gracieusement contrastée.

Après l’entracte, les repères sont complètement assimilés. George Petrou livre un probant Concerto grosso en fa majeur Op.3 n°4 HWV 315, de caractère plus italien, que pose non sans une certaine pompe un Andante souverain, suivi d’un Allegro à l’inflexion souple où l’on apprécie le hautbois d’Ioannis Papagiannis. Quant à lui, le mouvement lent (Andante) laisse découvrir le violon accort de Sergiu Nastasa. Enfin, Alexandros Oikonomou se distingue par un trait de basson habilement respiré dans l’Allegro final.

Huit arie, disions-nous plus haut.
Max Emanuel Cenčić ouvre le feu avec Fra le straggi (extrait d’Alessandro). Après un introit tout vivaldien du violon, le chanteur affirme un grave présent que déjà nous remarquions à son Sesto (Giulio Cesare in Egitto), il y a quelques années [lire notre chronique du 18 avril 2008]. Cependant, le chant paraît assez timide, pour ainsi dire, prudemment « sur la touche », jusqu’à conclure dans l’éclat d’un aigu facile, béni. Recueilli, Ombra cara, le lamento en prière de Radamisto, ouvre délicatement la voix dans une chaleur exquisément ambrée. La nuance en est finement conduite, en saine complicité avec l’orchestre dont se remarque le théorbe prégnant de Theodoros Kitsos. Sûreté des intervalles et plénitude de la vocalise servent Benche mi sprezzi extrait de Tamerlano) dont le da capo délicieusement varié (plutôt qu’orné) « décolle » enfin. Vano amore (encore Alessandro) s’affirme d’emblée plus virtuose, avec son couplet central littéralement hystérique qui détermine bientôt la folie ornementale du da capo, ici au service de l’expressivité – aria di bravura idéal pour conclure la première partie sous d’enthousiastes applaudissements.

Aure, deh, per pietà (extrait de Giulio Cesare in Egitto) ouvre le second épisode. Cet air emprunté au rôle-titre affirme un timbre de velours et des tenues d’une onctuosité envoûtante. Cenčić en signe une interprétation des plus raffinées. Alessandro, toujours, avec un Da un breve riposo prudent, contrit même, qui se réserve pour l’ultime trait, magnifique. Cette façon de s’économiser amène à s’interroger sur la forme de l’artiste. Deux arie de Rinaldo, ensuite. D’abord Cor ingrato, plus arioso sur une basse continue (clavecin, théorbe et violoncelle) qu’air à proprement parler, avec un « pont » médian furioso. En douceur, dans le confort d’un accompagnement avantageux pour le timbre, le contre-ténor distille un moment de grâce. Venti turbini, enfin, brillante rodomontade qui remporte un franc succès.

BB