Chroniques

par gilles charlassier

Maurizio Pollini joue Chopin

Salle Pleyel, Paris
- 7 décembre 2010
le pianiste italien Maurizio Pollini donne Chopin à la Salle Pleyel (Paris)
© philippe gontier

7 décembre, jour de la Saint-Ambroise – et de l’inauguration de la saison du Teatro alla Scala. Comme pour célébrer le saint patron de sa ville natale, le pianiste milanais consacre ce récital à l’un des compositeurs auquel il resta fidèle tout au long de sa carrière : Chopin.

Maurizio Pollini livre en première partie de programme sa lecture de l’un des monuments de la littérature pianistique : les Préludes Op.28. En guise d’ouverture est donné le Prélude en ut # mineur Op.45. Postérieure de quelques années au recueil, cette pièce sonne avec une retenue presque trop distante. L’interprète italien semble entrouvrir la porte du concert et sa sensibilité se tenir encore en coulisses. Après tout juste un soupir de silence, il aborde le cycle des vingt-quatre préludes. Les morceaux se succèdent l’un après l’autre, avec à peine un demi-soupir entre chaque. Ce n’est pas un cortège de contrastes de tempi et de tonalités où la main droite brille tandis que la gauche soutient fiévreusement. Pollini n’a jamais joué un Chopin échevelé, et ce soir encore moins.

Les doigts avancent gantés de velours sur le clavier, sans afféterie aucune, ni fragilité excessive. On note un rallentendo très sobre dans le deuxième Prélude en la mineur. Dans le Quatrième, le mi mineur prend des couleurs sombres et très intérieures. Le Lento assai du n°6 égrène des gouttes d’éternité comme dans une sarabande de Bach. De discrets accents schubertiens affleurent dans la mélancolie pudique des modulations du n°8, tandis que le suivant, en mi majeur, est empreint de gravité. Le Douzième, en sol # mineur, au Presto décidé, n’exprime point la colère qu’on lui prête parfois. Le Lento du Treizième déploie des sonorités feutrées. Le n°15 est un sostenuto parfaitement chopinien, avec ses inflexions délicatement rêveuses jouées avec une élégance apollinienne. Le n°17 fait entendre une reprise introspective où la main gauche tresse un motif obsédant comme un glas. Le n°20 fait contraster des accords plaqués dramatiques et une reprise à la sérénité rappelant celle du Cantor de Leipzig – comme un opus 111 en miniature. Le Molto agitato du n°22 sait être puissant sans être explosif. Le recueil s’achève sur un Allegro appassionato en ré mineur épuré de tout rubato. Les accords finaux résonnent comme un aveu d’humilité tellurique.

La main gauche de Maurizio Pollini est comme le centre de gravité de son jeu, freinant les ardeurs virtuoses de la main droite, lui donnant une constance et une consistance austères, fascinantes. Le livre de Préludes est présenté comme un kaléidoscope d’impressions qui se répondent, et où aucune ne cherche à éblouir l’auditeur. C’est une narration abstraite qui relate le cycle des quintes. Cette épure doit se laisser apprivoiser. Ce Chopin-là amorce des premiers pas parfois hésitants, avant que sa voix singulière ne se fasse peu à peu envoûtante jusqu’à faire deviner l’absolu et l’essence de la musique.

Après un recueillement peut-être effleuré par ceux qui ont été plus sensibles à la phtisie du compositeur – et un entracte –, il n’est guère surprenant que les Deux Nocturnes Op.27 semblent presqu’un divertissement. Les mains caressent les touches blanches et noires, comme si les vingt minutes de mondanité bues par l’assistance leur avaient redonné une timidité virginale. Le Lento sostenuto en ré bémol majeur est joué attaca avec son aîné en ut # mineur, dans une transparence admirable. Le Scherzo en si mineur Op.20 n°1 est une page contrastée, propice aux épanchements. Ici, l’éclat des premiers accords n’a pas l’insolence dont certains sont friands. Cela ne manque pas de franchise, mais paraît presque gauche sous ce voile de pudeur. La section centrale, avec ses intonations intimistes, révèle la sensibilité de l’interprète de manière nettement plus favorable. Les couleurs et la délicatesse du médium y sonnent avec une belle retenue.

Ce sont huit des Douze Etudes Op.25 qui sont offertes pour la dernière partie du concert. Là encore, la conception cyclique de Pollini donne à entendre les errances de Mnémosyne au sein du recueil et d’un opus à l’autre. La première étude est un Allegro sostenuto apollinien en la bémol majeur. La n°2, Presto en fa mineur, montre une vélocité presque volatile. La n°3, en fa mineur, fait preuve d’une légèreté émouvante. L’Agitato de la n°4 en la mineur contraste avec le Lento en ut # mineur de la n°7. La Dixième est un Allegro con fuoco en si mineur. La Onzième, en la mineur, commence par un Lento paisible interrompu par une marche altière presque désespérée, Allegro con brio. L’Allegro molto con fuoco en ut mineur de la n°12 clôt le recueil sur une fuite rythmique vidée de violence et d’illusion.

En grande forme, Pollini qui gratifie la salle Pleyel de quatre bis – sans doute sous le regard bienveillant de Saint-Ambroise. L’Etude Op.10 n°12 vient naturellement faire écho à ce que nous venons d’entendre. Beaucoup plus surprenant est le choix de laBallade Op.9 n°1 – près de dix minutes de raffinement généreux où la structure rythmique est constamment soutenue et contenue. Un nocturne et une étude récompensent encore l’auditoire.

GC