Chroniques

par hervé könig

Mathilde Calderini, Agnès Clément et Janina Ruh
Südwestrundfunk Sinfonieorchester, Andris Poga

Chostakovitch, Kabalevski, Mozart et Strauss
Liederhalle, Stuttgart
- 10 février 2017
la jeune harpiste Agnès Clément joue Mozart à Stuttgart
© tysje severens

Le Südwestrundfunk Sinfonieorchester invite tous les ans les lauréats des concours internationaux à se produire avec lui. Ce soir, cet accueil généreux est mis en pratique avec trois jeunes musiciennes dont le talent fut récompensé par plusieurs prix : nous entendrons donc Agnès Clément à la harpe, Mathilde Calderini à la flûte et la violoncelliste Janina Ruh. Pour ce faire, l’orchestre a convié un chef letton qui, guère bien vieux lui-même, fait déjà positivement parler de lui : Andris Poga, encore remarqué à Metz il y a peu [lire notre chronique du 26 janvier 2017].

Les programmes de ce genre de concerts ressemblent un peu à ceux des concours, il n’y faut donc pas chercher plus de cohérence que celle à laquelle ils prétendent, le but étant simplement d’exécuter un répertoire dans lequel les solistes conviés pourront montrer leur talent. Deux opus strictement orchestraux encadrent pourtant les deux concerti d’aujourd’hui : un poème symphonique de Strauss en fin de soirée, et l’Ouverture festive en la majeur Op.96 de Chostakovitch (1954). Dès sa première sonnerie, la perfection des cuivres est un choc ! Ce n’est pas la première fois qu’on entend ce bon orchestre, bien sûr, mais parce qu’il s’exprime cette fois dans un lieu qui lui est habituel, on mesure encore mieux ses qualités. Sous la battue de Poga, cette œuvre plutôt lourde devient moins pompière que sous d’autres. La tonicité des cordes et la vivacité des flûtes y contribuent grandement. Entre musique de corrida et opus de cérémonie d’un Glinka, l’Ouverture festive bénéficie d’un fin travail des nuances et vient s’inscrire, grâce à cette lecture nouvelle, dans une tradition plus ancienne. C’est rondement mené, pied de nez de clarinettes compris, jusqu’au retour solennel de la fanfare, pour finir.

Retenez bien son nom : elle s’appelle Janina Ruh. Elle a étudié à Zurich, Berlin et Karsruhe. Elle a remporté plusieurs concours prestigieux, comme les Lutosławski, Tchaïkovski, etc., et fut élue par la sélection New Talent de la chaîne classique du Südwestrundfunk (SWR2). Elle joue un magnifique Guarneri de 1725 que lui prête la L-Bank Baden-Württemberg. Mes premières lignes étaient un peu rapides : pas de recherche de cohérence dans le programme, mais il y a tout de même une seconde partie qui rappelle l’admiration de Strauss pour Mozart, tandis que la première reste en Russie soviétique, avec le Concerto pour violoncelle et orchestre ut mineur Op.77 n°2 écrit par Dmitri Kabalevski en 1964.

Sur le ronflement sombre du Molto sostenuto, Janina Ruh pose une phrase de pizzicati. La harpe lui répond, dans une sonorité de cithare très raffinée. La mélodie revient dans un duo de flûtes que le violoncelle soliste contrepointe. La précision du jeu, la musicalité évidente de la musicienne, l’aigu exacte et parfaitement juste, tout nous plaît ! Un pont pincé des violons (excellents) introduit la deuxième partie du mouvement. C’est un déchaînement hargneux, râpeux, dont la harpe éclabousse le rythme obstiné. Une nouvelle fois, les cuivres font florès. Retour de la mélodie avec un lamento ample, magistralement joué, puis une longue cadenza qui donne naissance au mouvement suivant. Dansante, la clarinette s’envole par-dessus l’orchestre et le violoncelle arrive alors. L’écriture est échevelée et requiert une virtuosité chevronnée. Janina Ruh se révèle bondissante, musclée, enflammée, magnifique ! Une ponctuation furieuse des timbales suspend ce Presto marcato enchainé attaca à la dernière section, Andante con moto d’une harmonie changeante, mi-figue mi-raisin. L’œuvre reste dans un climat difficile, même si le lyrisme l’apaise. Les trompettes chantent fabuleusement. Petit rappel du presto central, puis l’élégie, souffrante, que taclent violemment les timbales. En bis, la soliste offre un solo de Pēteris Vasks qu’elle accompagne de sa propre voix.

Un bon petit verre de Kerner et l’on retrouve la salle pour la partie germaine. Premier prix au Concours Kobe (Japon), lauréate à Coblence, révélation de l’Adami, la flûtiste Mathilde Calderini est actuellement en résidence à la Fondation Singer-Polignac. Agnès Clément, quant à elle, détient les premiers prix de l’Internationaler Musikwettbewerb der ARD (Munich) et du très convoité USA International Harp Competition (Bloomington) ; elle est également lauréate des Concours Lily Laskine (Paris), Valentino Bucchi (Rome), etc. Française, elle aussi, la harpiste est diplômée du CNSMD de Paris, après avoir débuté ses études aux conservatoires de Clermont Ferrand puis de Boulogne Billancourt. Harpe solo de l’Orchestre symphonique de La Monnaie (Bruxelles), Agnès Clément poursuit une brillante carrière soliste.

Place au Concerto pour flûte et harpe en ut majeur K. 299 de Mozart. Andris Poga l’engage dans une vivacité gracieuse. Nos dames apparaissent bientôt. La flûte appuie un mezzo forte constant qui n’est guère musical, contrairement à la harpe, des plus nuancées. Le thème de l’Andante paraît un peu poussif à l’orchestre. C’est encore la harpe qui dynamise l’interprétation. Pour finir, la gavotte (Rondo) est aimable, c’est tout. Comme si le concerto l’avait paralysée, c’est dans le bis que la flûtiste montre son talent, transcription d’une ballade extraite des Chants d’Auvergne de Canteloube où nos deux solistes sont inspirées. Andris Poga prend congé avec Till Eulenspiegels lustige Streiche Op.28 de Richard Strauss, dans une lecture prudente, assez terne. Après les cuivres et les cordes, la partition révèle de très bons bois. Tout est en place, c’est même bien fait, mais cela manque d’esprit.

HK