Chroniques

par gilles charlassier

Mathieu Romano dirige Aedes et Les Petits Chanteurs de Lyon
œuvres de Brahms, Bruckner, Hersant, Mendelssohn et Reger

Rencontres musicales de Vézelay / Basilique Sainte Marie-Madeleine
- 24 août 2017
La Basilique Ste Marie-Madeleine accueille les Rencontres musicales de Vézelay
© valentine poutignat

À la tête de la Cité de la voix, à Vézelay, depuis l'année dernière, Nicolas Bucher continue l'œuvre de Pierre Cao, fondateur des Rencontres musicales, creuset de la diversité de l'expression vocale, jusqu'aux confins du théâtre. Cette mise en écho des répertoires s'illustre dans la diversité des formats, du petit-déjeuner à l'after, en passant par le spectacle sur les terrasses à midi, sans négliger des programmes plus proches de l'excellence consacrée presque académiquement, oserait-on, à l'instar de Damien Guillon et son Banquet Céleste qui met en regard Bach et l'Italie avec l'adaptation du Stabat Mater de Pergolesi sur le Psaume 51 BWV 1083 (Avallon, vendredi 25), où l'on goûte une interprétation fruitée. Mais cet instinct réticulaire s'incarne également dans le dialogue entre les époques, ce dont témoigne le premier concert vespéral du jeudi, par Mathieu Romano à la tête de son ensemble Aedes.

Séquencée en deux parties, la soirée s'ouvre sur une monochrome anthologie de pages chorales du romantisme germain. Au delà de l'alternance entre liturgies luthérienne et catholique, l'auditeur perçoit une évidente parenté d'une pièce à l'autre, galbée dans une pureté a cappella attentive à la lisibilité des lignes et à la sobriété de l'affect, distancié par le collectif de la foi. Conformément au canon romain, Reger et Bruckner investissent le culte marial, respectivement les Acht Marienlieder, dont on entend le premier, et Unser lieben Frauen Traum Op.138, tandis que retentissent Virga Jesse et Ave Maria du maître de Sankt Florian.

Les voisins allemands Brahms et Mendelssohn affirment une économie similaire, dans Herzlich tut mich verlangen, et, pour le second, Mitten wir im Leben sind mit dem Tod umfangen Op.23. C'est d'ailleurs un autre morceau du même recueil de Mendelssohn qui referme le florilège, un Ave Maria avec accompagnement à l'orgue, distingué par une écriture où affleure davantage le sentiment personnel, moins décanté, et d'une séduction sans doute plus immédiate, sinon facile, mais nullement galvaudée.

Après l'entracte, on retrouve les Vêpres de la Vierge Marie que Philippe Hersant composa pour le huit cent cinquantième anniversaire de Notre-Dame et qui furent créées le 13 décembre 2013. Le musicien français en livre une adaptation moins dispendieuse pour orgue et chœur afin de faciliter une tournée qui commence à la Basilique Marie-Madeleine. Structuré en quatre parties, l'office constitue un avatar exemplaire de traversée temporelle, renouvelant des sources anciennes au sein d'une écriture contemporaine. L'épisode augural, Toccata et incantatoire, est façonné par un ostinato tourbillonnant initié par l'orgue et prépare un Ave Maris Stella judicieusement spatialisé. Les Petits Chanteurs de Lyon progressent depuis les latéralités de la nef au gré des strophes pour rejoindre leurs aînés d'Aedes, les deux formations modulant sur les mots une efficace dialectique, à la fois intérieure et plastique, voire picturale. Ce sens de la théâtralité religieuse se confirme dans un Psaume 121 innervé d'une intense sincérité, avant un Magnificat qui s'achève sur une péroraison presque brucknérienne. Palliant des ressources acoustiques moindres que dans la cathédrale parisienne, l'orgue de Louis-Noël Bestion de Camboulas concentre un savoir-faire éprouvé au fil de l'œuvre pour seconder la lumineuse extase de l'Amen conclusif, jusqu'à l'irradiante hébétude du divin. Accessible sans jamais céder aux modes ni aux régressions, l'ouvrage d’Hersant est défendu avec ferveur par ces interprètes de toutes générations, et démontre que la musique d'aujourd'hui peut élever un large public.

GC