Chroniques

par bertrand bolognesi

Markus Stenz dirige le Gürzenich Orchester Köln
œuvres de Glanert, Nono, Torke et Zimmermann

Musik Triennale Köln / Philharmonie, Cologne
- 9 mai 2004
William Ellis photographie le chef Markus Stenz à Cologne
© william ellis

Dimanche matin, onze heures, la Philharmonie de Cologne abrite le dernier concert de la Musik Triennale, donné par le Gürzenich Orchester Köln sous la baguette de son nouveau chef, le brillant Markus Stenz. Avec deux œuvres de compositeurs quarantenaires, la matinée se tourne vers l’aujourd’hui. Auparavant, elle achevait son grand Omaggio a Luigi Nono par Polifonica–Monodia–Ritmica, pièce pour cinq instruments à vent, piano et percussion écrite en 1951 et créée la même année par Hermann Scherchen à Darmstadt. Le Nono de ces années-là est encore très proche de Schönberg (son œuvre précédente était les Varazioni canoniche sulla serie dell’opus 41 di Arnold Schönberg), fasciné par le travail de Maderna, sans que la redécouverte ultérieure du sérialisme selon Dallapiccola soit venu assouplir le geste musical ni la pensée. Si l’on apprécie particulièrement la clarinette et la clarinette basse dès Polifonica, c’est la distribution des timbres dans un alliage savant qui surprend dans le second mouvement, franchement webernien. Stenz équilibre l’ensemble d’un souffle large et précis. De même entretient-il une tension hypnotique jusqu’à la dernière note de Ritmica. Irréprochables, les musiciens du Gürzenich livrent une exécution magistrale.

C’est la musique d’un enfant du pays que l’orchestre aborde ensuite, puisque Bernd Alois Zimmermann est né en 1918 près de Cologne, qu’il fit ses études ici-même en pleine guerre et que c’est encore à l’Université de la ville rhénane et dans sa Musikhochschule qu’il enseignera plus tard (– il reçut également le prix de la ville de Cologne en 1966). Au début des années cinquante, celui qui composerait le gigantesque opéra Die Soldaten (1965) se passionne pour la sonorité de l’orchestre et produit successivement un Concerto pour violon et orchestre, un Concerto pour hautbois et orchestre de chambre, puis le ballet imaginaire Kontraste. Tout en travaillant à Metamorphose (musique pour un film de Michael Wolgensinger) et au ballet Alagoana, il honore une commande du Westdeutschrundfunk en composant sa Symphonie en un mouvement. Si l’auteur a déjà expérimenté le principe dodécaphonique, il se tourne plus vers ses amours de jeunesse : l’on y entend nettement quelques réminiscences de Bartók, par exemple. Nous sommes encore loin des collages postmodernes qui suivront, dans lesquels Hindemith côtoie le jazz. Markus Stenz dirige une lecture fort dynamique, avec de somptueux ff qui ne masquent pas le détail. Il utilise judicieusement chaque possibilité de contraste d’une partition extrêmement lyrique jamais avare d’effets expressifs, pour ne pas dire dramatiques, pour offrir une version pleine de relief et d’énergie dont la couleur s’affirme. Bravo aux cordes en général, aux violoncelles en particulier.

La seconde partie du concert est nettement moins passionnante.
Elle s’ouvre sur une page écrite il y a quinze ans par un jeune homme de vingt-cinq ans, l’hambourgeois Detlev Glanert. Sa Symphonie Op.6 n°1 commence par un violent et lourd coup de maillet suivi d’effets de tremolos des cordes, avec quelques arpèges de harpes et des échappées mélodiques fragmentaires. L’ensemble peut rappeler certains traits de Zimmermann, de Mahler par le prisme de Charles Ives, mais aussi de Revueltas ou Ruggles. Signalons un passage intéressant de violoncelle sur une pulsation discrète de timbales et de caisse, d’un grand lyrisme, sur une phrase répétée qui semble ne jamais pouvoir se résoudre. Cette phrase est reprise peu à peu par toutes les cordes, comme par contamination, puis laisse place à un duo assez acide entre le premier violon et une contrebasse. La structure dissimule à peine trois mouvements plutôt classiques, avec une coda inattendue en micro-intervalles, pour guitare, contrebasse, viole de gambe et éolienne.

Si l’œuvre de Glanert ne convainc guère, Ecstatic Orange, écrite la même année par l’Américain Michael Torke (né en 1961 dans le Wisconsin) paraît longue. Dès les premières mesures de ce ballet en trois mouvements, une « tournerie » s’installe, avec de grands effets de sonneries de cuivres qui tintinnabulent – décidément, une large partie de la musique américaine ne parvient pas à sortir de la répétition. Ici, l’univers est strictement tonal, avec des couleurs héritées de Copland. Purple, le second mouvement, commence assez élégamment, puis développe un jazz symphonique des plus convenus qui peu à peu exulte dans une jubilation cataclysmique. Enfin, la dernière partie collectionne tous les stéréotypes d’orchestration de ce type de musique comme venue du paradis des scouts, avec fanfares, majorettes et massacres exotiques. Terminer ainsi trois belles semaines de Musik Triennale laisse pantois.

BB