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Chroniques
Marco Angius dirige l’Ensemble Intercontemporain
création d’Assemblage de Roque Rivas
Rendez-vous au Centre Pompidou pour cette soirée Aléas. Rien de plus pertinent que ce titre pour introduire un concert qui, en réunissant trois œuvres faisant appel à l'imprévisible de manières fort différentes, prouve qu'aujourd'hui, plus que jamais, en musique, Alea jacta non est ! Après Zyklus de Karlheinz Stockhausen, magistralement interprétée par le percussionniste Samuel Favre, l'Ensemble Intercontemporain dirigé par l’Italien Marco Angius livre la création d'Assemblage (pour piano, ensemble et dispositif électronique) du compositeur chilien Roque Rivas, ainsi que le surprenant Nôise (pour grand ensemble) du jeune Tchèque Ondřej Adámek.
Première approche de l'imprévisible, Zyklus, pièce écrite en 1959, est l’une des premières de Stockhausen à tenter une conciliation entre la rigueur conceptuelle issue du sérialisme et l'indétermination. Reliée en spirale, la partition, qui n'indique ni le début ni la fin, doit être lue par le percussionniste en même temps qu'il se déplace entre les instruments qui l'entourent, soit dans le sens des aiguilles d’une montre, soit en sens inverse, jusqu'à retrouver la page de départ. Samuel Favre livre une version d'une naturalité prégnante, maîtrisant à la perfection le temps de chaque section. Le caractère improvisé qui s'impose dans la durée et les nuances semble s'équilibrer à la perfection dans la combinaison des timbres des instruments à hauteur déterminée et indéterminée. Encerclé par ceux-ci (au point d'avoir à passer sous le vibraphone pour prendre place) et par quatre pupitres qu'il ne regarde que fort occasionnellement, Samuel Favre, tout imprégné de la partition et muni d'une détermination convaincante, captive l’attention au long des dix-sept sections de la partition.
Assemblage met face à un autre type d'imprévisible, celui toujours induit par l’électronique en temps réel. En arborant des inspirations scientifiques qui établissent des parallèles entre musique mixte et biologie cellulaire (ce à quoi l’on pourrait rétorquer que la notion de forme organique existe bien avant l'avènement de l'électronique) et qui s'avèrent finalement assez anecdotiques, Rivas offre une page où des fulgurances sonores d'une beauté intense font oublier les ingratitudes d'une construction musicale un peu plate. En tissant des textures où l'électronique semble surgir et se confondre dans l'instrumental (ce qui a déjà un mérite énorme), et en conciliant de la sorte les temps de ces deux réalités sonores que l'oreille parfois résiste à unir, Roque Rivas [photo] fait preuve d'une grande science de l'orchestration. Au seul piano est réservé un rôle soliste, point de départ de toute la trame mélodico-harmonique de la partition, alors que l'ensemble est traité en blocs et se fond dans une masse qu'on attendrait moins monochrome.
Troisième face de l'imprévisible, Nôise, dont la création avait déjà surpris il y a deux ans [lire notre chronique du 9 février 2010], ferme la soirée. S'inspirant librement du Nô, théâtre traditionnel japonais, Adámek construit une pièce d'une étrangeté irrésistible. Les trois parties de la partition font référence à un aspect bien précis de l'univers expressif nippon. La première, dominée par des glissandi descendants de contrebasse auxquels répondent les autres instruments de l'ensemble, s'inspire du chant dévolu à l'acteur principal du Nô. Dans la deuxième, la voix, introduite dans la première partie par d'étranges irruptions dont on ignore la provenance (elle est émise au début par le violoncelliste, puis par d'autres instrumentistes, comme cela se comprend par la suite), est au premier plan pour évoquer le narrateur de Bunraku. Cette partie s'inspire aussi du mouvement désarticulé des marionnettes et du shamisen, instrument à cordes qui les accompagne. La troisième, où la voix, ponctuée de rythmes obstinés s'accélérant peu à peu, se confond dans le grave des vents, s'inspire de la récitation répétitive de sutras par les moines bouddhistes. Mais au delà de la référence particulière à ce genre d'art, déjà en soi si étranger au goût occidental, et de ce fait également attrayant et mystérieux, le grand mérite d'Adámek est de renouveler en permanence son discours par le biais d'une syntaxe qui évoque d’abord le rire, puis l'émerveillement face à une créativité aussi prolixe. Pendant les trente minutes que dure cette page, on n’en abandonne pas même une seule fois le déroulement, l’écoute étant toujours rafraichie et singulièrement attirée par le devenir imprévisible. Une véritable dramaturgie sonore, l'esprit du Nô devenu musique, surgit des rapports entre les différents éléments qui constituent la pièce.
Confrontées à une partition qui traça en son temps de nouveaux chemins, ces deux œuvres sont sans doute représentatives de la bonne santé dont jouit de nos jours la création musicale.
JP