Chroniques

par michel slama

Manon Lescaut
opéra de Giacomo Puccini

The Metropolitan Opera HD Live / Gaumont Capucines, Paris
- 5 mars 2015
Manon Lescaut de Puccini en direct du Metropolitan Opera
© ken howard | metropolitan opera

Bizarrement, Manon Lescaut de Puccini est un ouvrage délaissé par les scènes internationales. Cette production du Met’, déjà donnée à Baden Baden, fait donc figure d’événement, sans compter sur les rebondissements inattendus de la vie lyrique.

D’abord, la mise en scène de Richard Eyre qui s’annonce sulfureuse, avec, dans le rôle-titre, la très pulpeuse Kristīne Opolais que la maison new-yorkaise n’hésite pas à présenter en vamp blond platine, glamour à souhait sur les affiches et les trailer. Ensuite, le forfait de Jonas Kaufmann, s’annonçant souffrant dès le 26 janvier et dans l’incapacité d’assurer ses engagements. La déception fut donc forte pour les innombrables fans du ténor allemand qui, à Londres et à Munich en 2015, avaient pu acclamer le couple infortuné. Enfin, son remplacement par Roberto Alagna offre le premier Chevalier des Grieux du chanteur franco-sicilien, après de nombreux contretemps : en 2006, il devait se produire à Turin mais avait dû renoncer pour des raisons de santé.

Ce soir, l’host est Deborah Voigt qui résume succinctement l’action, comme à l’accoutumée. Le Metropolitan Opera a joué la carte de la sécurité en misant sur Richard Eyre, metteur en scène adulé et couvert de récompenses. Réalisateur de nombreux films, de productions au théâtre et de comédies musicales, Eyre est bien connu du public lyrique : la Traviata dirigée par Georg Solti, régulièrement reprise à Covent Garden (Royal Opera House, Londres), c‘est lui, tout comme la Carmen et le Werther du Met’.

Richard Eyre choisit de situer sa Manon Lescaut dans les années quarante, ambiance de film noir, comme il la présente lui-même. En fait, cette transposition de l’action en 1941 n’est prétexte qu’à modifier les décors et les costumes qui sont, par ailleurs, très réussis. L’action n’est en rien atteinte. Ainsi, le coche d’Arras devient un train qui s’arrête en gare d’Amiens, avec une buvette pleine d’étudiants et de voyageurs auxquels se mêlent des soldats allemands en uniforme. L’arrivée successive du Chevalier et de Manon, descendant de longs escaliers entourés de colonnes et fresques art déco, et celle, au loin, de la locomotive, font grande impression. Gardé par un féroce cerbère, l’auberge est un hôtel années trente, en tourelle, où s’ébat le richissime collabo’ Géronte de Ravoir. C’est l‘occasion de découvrir dans le rôle d’Edmondo le jeune ténor nord-américain Zach Borichevsky, vraie révélation de beauté de timbre et de présence.

À l’Acte II, l’appartement somptueux de l’héroïne est très Bauhaus, avec un mélange de styles plus anciens pour le lit et le paravent, comme on le voit dans les films de cette époque. Un grand escalier occupe un espace gigantesque et magnifie l’intervention des protagonistes. Au III, c’est la reconstitution spectaculaire et efficace de la proue d’un navire de marine marchande au Havre, pour l’embarquement pour la Louisiane. Au IV, pas de désert, mais l’effondrement des valeurs de Manon, avec les ruines de béton armé de son hôtel particulier. Eyre soigne particulièrement sa mise en scène en détaillant chaque attitude et chaque réplique. Les chanteurs et les seconds rôles sont efficacement dirigés. Il n’y aucun temps mort et le spectateur y croit.

On attendait Kristīne Opolais qui, dans ses précédentes incarnations du rôle, n’avait que peu convaincu. Si elle reste une excellente actrice à la beauté vénéneuse – on pense à Rita Hayworth ou à Kim Novak –, côté chant l’on reste un peu sur sa faim. Avec des intonations à la Tebaldi, elle peut parfois séduire, comme dans son grand air du IV où elle est bouleversante. Ailleurs, si l’aigu est facile, le grave est détimbré, voire « poitriné », et la Lettone n’émeut pas.

Quant à Roberto Alagna, il sait tirer des larmes au public new-yorkais qui l’ovationne chaleureusement, debout. Vocalement fort à l’aise, la tessiture tendue de ce des Grieux très latin lui convient tout-à-fait, malgré quelques notes difficiles dans l’aigu forte qu’il utilise adroitement pour l’action. Dans ses mouvements et émotions, à aucun moment le jeune étudiant fringant et passionné ne le cède au quinquagénaire qu’il est aujourd’hui. Le pari est plus que réussi et son incarnation fera date. Massimo Cavalletti tient le rôle ingrat du frère de Manon. Le baryton italien fut dirigé par les plus grands chefs et a chanté le grand répertoire italien et français aux côté des plus grandes stars. Samedi, en méforme qu’on espère passagère, il n’est pas à l’aise et fâché avec la justesse. La ligne vocale peu assurée ; il déçoit.

L’autre triomphateur de la soirée est le chef Fabio Luisi qui joue l’œuvre de façon idéale. Dès les premières mesures, on a compris que l’action sera enjouée, passionnée et dramatique. Il accompagne divinement les chanteurs. Les intermezzi si connus sont anthologiques et déchirants. Le Metropolitan Orchestra (qu’il connaît bien) répond à chacune de ses inflexions. Espérons que Peter Gelb, le sémillant General Manager du Met’, obtiendra d’immortaliser cette Manon Lescaut en DVD.

MS