Chroniques

par françois cavaillès

Manon
opéra-comique de Jules Massenet

Opéra des Nations / Grand Théâtre (saison hors les murs), Genève
- 12 septembre 2016
Patricia Petibon chant Manon de Massenet à Genève (Opéra des Nations)
© gtg | carole parodi

En Suisse le temps s'écoule paisiblement, au bord du lac revigorant, au calme chaud et ensoleillé de Genève. Menace la plus sérieuse sur le possible ennui en ville, l'opéra français vient y vivre un grand soir, fort de ses talents les plus connus peut-être aujourd'hui, à savoir le compositeur Jules Massenet, le metteur en scène Olivier Py et la chanteuse Patricia Petibon. L'envie de revoir Manon, immense succès populaire dès la première de 1884 à l'Opéra-Comique et aujourd'hui donné dans une nouvelle production pour ouvrir la saison genevoise, est d'abord diffusée par l'Orchestre de la Suisse Romande. Dirigée par Marko Letonja [lire notre entretien], la formation brille notamment dans les préludes, fougueux ou classieux, mais aussi dans cette magnifique effervescence générale du début du premier acte.

La mise en scène foisonnante d'Olivier Py propulse d'entrée le drame bourgeois dans une nuit étoilée, éclairée sans relâche par les néons acidulés d'un quelconque quartier rouge (Sunset Strip, Amsterdam ou Pattaya) bientôt plongé dans un tumulte plutôt joyeux. Le plus vieux métier du monde renaît sous les formes gracieuses de belles poupées sans fausse pudeur, au chant rassurant – le jeune trident des soprani Mary Feminear (Javotte) et Seraina Perrenoud (Poussette) et du mezzo Marina Viotti (Rosette) a même bien du piquant ! Moderne et gourmand, le spectacle bouillonne sur les thèmes de l'appétit, des transports et du vulgaire. Danseurs aériens, voyageurs se ruant par les larges allées de l'Opéra des Nations, avec une belle puissance vocale signée par le Chœur « maison », petit train nocturne filant par magie dans le fond de scène, puis une pluie artificielle et, sur les planches, un flot de passagers dépliant de grands parapluies...

L'action éclate avec le remarquable brouhaha conçu par Massenet. Comme écarté par la foule dans l'urgence du présent, le décor de rue se transforme ensuite, grâce à la maestria du scénographe Pierre-André Weitz, en un hôtel de passe vu en coupe et illuminé de six couleurs vives (une par pièce). La suite perd – hélas ! – beaucoup d'intérêt, comme un pénible tableau de lupanar, et s’égare dans des parodies cyniques (tels ces amants sous les cocotiers à l'Acte II). À l'exception d'un bel intermède dramatique, dans un Séminaire de Saint-Sulpice aux impressionnantes teintes gris foncé (IV), l'outrance emporte le dernier acte à mille lieux du romantisme originel.

Dans ce vaste coq-à-l'âne qui parfois sombre dans le mauvais goût, les voix sont un peu perdues. Se démarquent les interprétations les plus classiques, mélanges de force et de clarté délicieusement Belle Époque, du ténor Rodolphe Briand (Guillot) et du baryton Pierre Doyen (Lescaut). Du Chevalier des Grieux incarné par le ténor Bernard Richter, on retient surtout la prestance, dès sa rencontre avec Manon. Au centre de tout ce show parfois tourné en comédie musicale, le rôle principal traverse les convoitises avec une certaine froideur, physique et vocale, savamment composée par le soprano Patricia Petibon. Habillée en princesse à paillettes, enlaçant une boule à facettes pour l'air Adieu, notre petite table, cette étrange Manon aux manières de coquette et au timbre de reine ravit sans doute les oreilles et les yeux des fans, émus par la performance et l'aura de la cantatrice. Elle se fait experte dans l'art de donner voix à la solitude.

FC