Chroniques

par gérard corneloup

Manon
opéra de Jules Massenet

Biennale Massenet / Opéra-Théâtre de Saint-Étienne
- 6 novembre 2009
Manon (Massenet) à l'Opéra-Théâtre de Saint-Étienne
© j.a. raveyre

Au début des années 1980, une fuite d'eau fortuite mais révélatrice se déclara dans la Maison Massenet à Égreville (Seine-et-Marne), permettant de découvrir une partition piano-chant de Manon qui possédait une particularité unique : les dialogues parlés, propres au genre de l'opéra-comique, y étaient accompagnés d'une ligne de chant écrite de la main même du compositeur. C'est justement avec cette version inédite, intégralement chantée, que la Biennale Massenet de Saint-Étienne a choisie d’inaugurer sa dixième édition. La chose peut surprendre les puristes en la matière (s'il en existe encore), mais apporte un lien nouveau autant qu'homogène entre les épisodes musicaux, évitant ces dialogues parlés trop souvent mal débités par des chanteurs de moins en moins aguerris à cette pratique d'un autre âge.

Autre singularité : ancien directeur de l’Opéra-Théâtre qu'il a quitté récemment non sans quelque éclat à la suite d'un désaccord de fond avec la nouvelle municipalité stéphanoise, le metteur en scène Jean-Louis Pichon était absent de la première, le travail ayant été réalisé pour l'occasion par sa collaboratrice Sylvie Augret, dans les décors d'Alexandre Heyraud, les costumes de Frédéric Pineau et les éclairages de Michel Theuil. Autre innovation qui put elle aussi scandaliser certains (autres) puristes : les scénographes ont déplacé l'action du XVIIIe siècle habituel, de ses dorures, falbalas et robes à panier, vers le cœur des années folles, leurs nouveaux riches, robes raccourcies et militaires toujours aussi hâbleurs. Au-delà de l'extrême longueur et des inégalités de la partition arpégée de l'ami Jules, cette option est convaincante et met bien en valeur les deux meilleurs moments : l'épisode de Saint Sulpice et la scène finale.

Musicalement, le spectacle bénéficie de deux atouts indéniables : la direction de Laurent Campellone, souple, déliée, engagée, frémissante de vie intense et soucieuse du moindre détail, et la qualité des chœurs maison parfaitement conduits par Laurent Touche. La distribution offre de belles interprétations, comme le solide Lescaut d'Olivier Grand, le musical Guillot de François Piolino, par ailleurs excellent comédien, les trois mutines midinettes chantées par Laure Baert (Poussette), Diana Axentii (Javotte) et Patricia Schnett (Rosette), sans oublier la prestation du vétéran Marcel Vanaud (le comte).

On aimerait en dire autant des deux rôles principaux, mais ce n'est – hélas ! – vraiment pas le cas. Malgré sa musicalité et son excellent français, le tout jeune ténor Philippe Do possède une voix bien trop légère – tout à fait destinée à Auber, à Boieldieu et autre Adam – pour aborder les héroïques lourdeurs du personnage de Des Grieux. Le problème de Karen Vourc'h consiste en une technique mal conduite ou mal maîtrisée, entre des aigus durcis et un médium incertain. Dommage, car elle campe dramatiquement une Manon touchante et crédible… mais qui doit aussi chanter.

GC