Chroniques

par michel slama

Manon
opéra de Jules Massenet

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 13 avril 2004
Manon (Massenet) à l'Opéra Bastille (photo Éric Mahoudeau)
© éric mahoudeau

Quatrième reprise de cette Manon à la Bastille, dans la mise en scène sans charme de Gilbert Deflo, avec une affiche prometteuse, le tenorissimo Roberto Alagna et le jeune espoir français Alexia Cousin. Après l’exquise Renée Fleming par deux fois Manon, aux côtés du pâle Richard Leech d’abord, puis du flamboyant Marcelo Álvarez, et la délicate Ruth Ann Swenson avec Luca Lombardo, Alexia Cousin tente aujourd’hui de reprendre le flambeau de l’héroïne de Massenet.

Disons-le d’emblée, elle est loin de convaincre un public qui – hélas pour elle ! – ne lui épargne pas les huées au salut final. Ravissante, sculpturale, avec d’énormes moyens, d’ailleurs complètement hors propos dans ce rôle, notre soprano s’avère vocalement incapable d’incarner ce personnage tout en tendresse, suavité, sensualité et vocalises à l’envi. Ainsi la malheureuse Alexia, aux prises avec une tessiture qui ne lui convient pas, passe-t-elle la plupart de son temps à crier, voire hurler des aigus. Là où on attendait douceur, séduction, sensualité et espièglerie, nous entendons vociférer une harpie, semblant vouloir s’acharner à essouffler Roberto Alagna, particulièrement dans leurs duos où elle se montre peu avare de décibels. Plus grave encore, son absence de maîtrise de la ligne de chant comme de musicalité fait dire à un public néophyte que, finalement, il n’y avait pas beaucoup d’airs intéressants dans cette partition et qu’on aurait dû supprimer les notes piquées et les vocalises – un comble ! Théâtralement, la belle a pourtant du charme et de la séduction à revendre, excepté dans le premier acte où, en fait d’ingénue, elle compose une idiote, godiche ridicule que mon entourage immédiat a immortalisée en « cousin(e) de Bécassine »

N’est pas Fleming qui veut… De plus, le DVD, capté ici même il y a deux ans, récemment paru chez TDK avec Álvarez en des Grieux, nous présente une Manon presque idéale comparée à la jeune française. Le charme de la voix melliflue de Renée sut séduire, même si le personnage qu’elle composait manque de simplicité. Par ailleurs, la captation vidéo a su gommer la laideur des décors, sorte de boîtes géantes bleues, cylindriques et concentriques, dans lesquelles le metteur en scène crut bon d’enfermer les personnages – poncif éculé, vide et sans intérêt. Quelques accessoires complémentaires (grands rideaux du deuxième acte, feuillages du troisième) qu’on aperçoit mal à la scène sont mieux mis en valeur dans la vidéo.

Quant à Roberto Alagna, malgré une légère fatigue perceptible vers la fin de la représentation, il demeure purement et simplement idéal. Pour le grand ténor français d’origine sicilienne, c’est une prise de rôle. Adulé par son public parisien, il lui offre une magnifique leçon de chant et de maîtrise de notre langue. Rappelons qu’il défend une façon de chanter « moderne », c’est à dire sans rouler les airs et dans une prononciation tellement limpide que la salle n’a aucun besoin de lire les surtitres. Le charme et la séduction d’un timbre chaleureux, sa grande sensibilité ne sont plus à vanter. L’on est heureux de le retrouver dans un répertoire où il frôle en permanence la perfection. Le public lui fait un triomphe mérité. Après son énorme succès en janvier dernier dans Werther au Metropolitan Opera (New York), il s’impose aujourd’hui, sans conteste, comme le plus grand ténor du chant français.

Le reste de la distribution est parfait.
On retrouve Franck Ferrari en Lescaut (de Brétigny des Manon précédentes) et le fort émouvant Alain Vernhes, habitué du rôle du Comte. Les deux compères excellent dans ce répertoire. Il y a quelques semaines, ils triomphaient au Palais Garnier dans la production divertissante de L’heure espagnole (Ravel) mise en scène par Laurent Pelly. N’oublions pas l’inusable Michel Sénéchal, toujours fidèle à son inénarrable Guillot de Morfontaine. Dommage que le Chœur et l’Orchestre de l’Opéra national de Paris soient placés sous la bruyante et prosaïque direction de Gary Bertini.

MS