Chroniques

par david verdier

Mahler par le Philharmonia Orchestra
Maazel dirige les symphonies VII et V

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 14 et 15 mai 2011
Mahler par Maazel, Septième et Cinquième
© hiroyuki ito

Des trois soirées Mahler données avenue Montaigne par Lorin Maazel à la tête du Philharmonia Orchestra, disons-le d'emblée, il y a peu de choses à retenir. Un sentiment métaphorique un peu à l'image du verre d'eau que le chef pose à proximité de son pupitre : à moitié plein, donc à moitié vide… Après une Sixième figée entre exubérances et minauderies, ce fut au tour de la Septième et de la Cinquième de passer sous les fourches caudines du chef américain.

Le défi de modernité de la Symphonie en mi mineur n°7 est abordé très prudemment, les masses dynamiques sont puissantes mais sans tension. Le relâchement du tempo s'impose dès le si mal nommé Langsam initial. Le phrasé s'englue et ahane dans une tendance continue (et imperturbable) à la diérèse – élément pouvant participer à la construction du son brucknérien mais ici totalement hors de propos. Dans l'Allegro risoluto, on sent le degré de gêne et de précaution que mettent les musiciens à avancer pas à pas, un pied devant l'autre. Maazel a la chance que l'orchestre « tienne » et réponde au défi de lenteur, exception faite de quelques interventions très « brutes de décoffrage » de la trompette solo et des trombones. Quand la battue se fait pressante, cuivres et caisses claires dominent outrageusement l'espace sonore. La première Nachtmusik est dénuée d'humour, la petite harmonie métronomiquement parfaite mais parfaitement placide. On entend tout, mais quel ennui à écouter ces cloches plus proches d'une installation de Tinguely qu'un ranz alpestre. Le rythme ternaire s'englue dans la méticulosité, les glissandi ne jouant aucun rôle. Guitare et mandoline reléguées à l'arrière plan, la Nachtmusik II suit son bonhomme de chemin sans accroc majeur, juste avant que n'éclate une stridente tempête de cuivres. On observe dans ces moments les efforts désespérés de certains musiciens pour se protéger les oreilles. Le final roule sur des rails implacables – tempo lourdissime, fugue ânonnée, les cordes plantant des clous pour couronner cet Hollywood sonore.

Sans surprise, les déçus avaient évidemment déserté la salle le lendemain (les moins courageux étaient déjà partis dès le premier soir). Faisant mentir toutes les prévisions, Lorin Maazel donne de la Symphonie en ut # mineur n°5 une vision finalement moins décevante qu'on aurait pu redouter. Contrairement aux deux autres, il fait le choix de diriger par cœur – se libérant étrangement de ses « manières » les plus irritantes. L'orchestre retrouve une belle liberté de ton et des intonations apolloniennes. Durant tout le début règnent la ductilité de velours des cordes et des timbres qu'on pourrait rapprocher d'une couleur de verre dépoli. Dans le Scherzo, l'emploi systématique de certains effets d'articulation facilite la clarté des plans sonores mais nuit au naturel expressif. Même les réminiscences viscontiennes (désormais intrinsèques) qui affleurent dans l'Adagietto semblent plongées dans la naphtaline. Les phrases s'étirent sans pouvoir décider entre mièvrerie désuète et sentiments sagement placés sous verre. L'expressivité en berne colore un final en demi-teinte où, ici encore, le souci d'une impeccable mise en place nous éloigne des standards abaddiens. C'est tout du long, un souci de déplier la musique plutôt que de la déployer librement.

La construction prudente du son irrite cependant beaucoup moins que dans la Septième ; sans doute est-elle moins laborieuse ici. Maazel privilégie une vision somme toute très classique, avec un souci constant de lisibilité pour faire apparaître les arrière-plans. La projection est moins contrainte ou garrotée, comme on avait l'impression la veille. Reste cette tendance des cuivres à envahir le champ dès que le chef le leur permet. La tonitruance de la conclusion est évidemment disproportionnée et inutile, sauf à mettre en valeur le profil de médaille du chef et emporter les hourras d'un public majoritairement conquis par tant de zèle.

DV