Chroniques

par bertrand bolognesi

madrigaux et airs sacrés de Domenico Mazzocchi
Les Paladins dirigé Jérôme Correas

Sinfonia en Périgord / Abbaye de Chancelade
- 29 août 2005
le mezzo-soprano Valérie Gabail chante Mazzocchi à Sinfonia en Périgord
© j.j. chabert | sinfonia

En ce lundi commence pour nous une copieuse semaine baroque, vécue dans le cadre du festival Sinfonia en Périgord, dont nous tiendrons-nous chronique pas à pas. Cette manifestation occupe une dizaine de jours durant lesquels est proposé une quinzaine de rendez-vous très diversifiés, avec un répertoire toujours en marche. La majeure partie des concerts a lieu à l'Abbaye de Chancelade, fondée au XIIe siècle par une communauté réunie sous la règle d'Augustin. Malmené par la Guerre de Cent ans puis par les troubles politiques que provoquèrent Réforme et Contre-réforme, l'édifice fut remanié au XVIIe. Aux abords d'une source, dans un joli coin de verdure, le chœur abrita longtemps Le Christ aux outrages, appelé également Christ de Chancelade, attribué à Georges de La Tour, à qui l'on prodigue actuellement des soins précieux au Musée, tant afin de lutter contre l'invasion d'un champignon indésirable que pour le rafraîchir par une restauration minutieuse. Avec sa magie, son histoire, et l'excellente idée qu'eurent les organisateurs de Sinfonia de placer une scène directement à l'emplacement habituel de l'entrée, le public tournant le dos au chœur, afin d'optimiser les potentiels acoustiques, le lieu semble idéal pour accueillir un festival de musique baroque.

En 1997, Jérôme Correas, claveciniste et chanteur, choisissait de dénommer Les Paladins l'ensemble qu'il fondait, le plaçant, par cette référence à l'ouvrage de Rameau, sous le signe de la fantaisie et de l'imaginaire, tout au service d'un répertoire vocal plutôt rare. De fait, il n'est pas si fréquent de pouvoir écouter un programme entièrement consacré à Domenico Mazzocchi, prêtre et compositeur romain actif durant la première moitié du XVIIème siècle, rendu célèbre tant par les œuvres avec lesquelles il alimenta les moments musicaux des salons de l'aristocratie romaine que par l'opéra La Catena d'Adone, présenté au public en 1626. Quatre instrumentistes et cinq voix composent ici diverses formations pour approcher le musicien, alternant airs profanes et concerts sacrés, dans une louable tentative de reconstitution de ce que put être une soirée musicale privée à Rome, lorsque les grandes familles et les cardinaux eux-mêmes, palliant ainsi l'interdiction papale de l'opéra, se réunissaient pour se flatter l'oreille. Un tel contexte ne pouvait que favoriser l'expérimentation, comme certaines pages nous le rappellent par leur audace.

Dès l'abord, la Battaglia per espugnare Amore bénéficie d'un trio vocal équilibré, réunissant les soprani Monique Zanetti et Valérie Gabail [photo] ainsi que la basse Renaud Delaigue qu'accompagnent harpe (Angélique Mauillon), basse de viole (Isabelle Saint-Yves), guitare (Manuel de Grange, qu'on entend plus tard au théorbe), régale et clavecin, sous les doigts de Jérôme Correas qui des claviers veille à la coordination générale. Magnifiquement expressif, le chant de Monique Zanetti introduit d’un saisissant solo Domine, ne in ira tua, mêlant un caractère plus méditatif au drame sacré, au demeurant fort ornemental. Après l'intervention du second soprano qui paraît moins brillant, un chœur bondissant vient ponctuer divers soli où l'on apprécie particulièrement la précision de la haute-contre Jean-François Lombard. Les trois hommes donnent ensuite l'air plaisamment « gentil » Contro gli allettamenti mondani qui révèle une nouvelle fois l'évidence et l'exactitude du chant de Jean-François Lombard, la présence très charnelle de la basse Renaud Delaigue et les nombreux soucis rencontrés par le ténor Benoît Haller. Moins heureux, Fortuna, su'l volto un crine souffre d'un manque soudain de stabilité (haute-contre) et d'un grave trop confidentiel.

La formidable lumière du timbre de Monique Zanetti transcende Iesu, dulcis memoria et surtout le dramatique La Maddelena ricore alle lagrime où la couleur se montre idéale, la conduite de la phrase exceptionnelle et l'émotion au rendez-vous, captivant le public dans cette douloureuse lamentation qui, à elle seule, pourrait inscrire l'art de Mazzocchi dans une rhétorique plus opératique que madrigalesque. Les deux soprani usent d'une complémentarité heureuse dans Dovemo piangere et Surge propera, Amica mea, récitatif et air extraits de La Passione di Nostro Signore, tandis que Benoît Haller parvient à assouplir son chant au fil du concert, jusqu'à donner Breve e la vita nostra avec une ornementation plus fiable.

BB