Chroniques

par françois-xavier ajavon

made in USA
Fine Arts Quartet

Antheil, Dvořák, Herrmann
Maison de la Radio, Paris
- 23 janvier 2005
Bad boy... le compositeur nord-américain George Antheil
© berenice abbott

Radio France propose un passionnant cycle sur le thème du voyage, sous le titre suggestif de Phileas Fogg. Si le héros de Jules Verne parvient à terminer son tour du monde en quatre-vingt jours – et sans hyper-trimaran en fibre de carbone –, l’institution boucle en trois le sien et contre toute attente atterrit sur le nouveau monde : l'Amérique comme une « éternelle terre promise », écrit René Kœring dans son texte de présentation. L'originalité de ce concert est de dessiner le portrait d'une Amérique musicale mal connue, négligée, éclipsée par les superstars médiatiques que sont Bernstein, Copland (ou Philipp Glass, dans un autre registre).

Le Fine Arts Quartet attaque son périple par le Quatuor à cordes n°3 de George Antheil (1900-1959). Rareté au concert, cette pièce classique et pleine d'un romantisme contenu, élégante et parfaitement maîtrisée, est l'œuvre d'un Antheil [photo] au fait de son art musical. Élève notamment d’Ernest Bloch, autre grand négligé du paysage musical nord-américain, le pianiste virtuose Antheil s'est d'abord fait connaître sur le vieux continent par de nombreux récitals. Presque devenu français, ou parisien, à force de fréquenter le milieu culturel des années vingt (dont Yeats, Cocteau et Joyce), son œuvre la plus célèbre, Ballet mécanique [lire notre chronique du 9 octobre 2004], qui convoque hélices d'avion et sirènes (comme Amériques de Varèse, à peu près contemporain), fut créée au Théâtre des Champs-Élysées en 1926. De retour en terre promise dans les années trente, Antheil composa moins et passa d'une esthétique futuriste et innovante à un néoclassicisme moins enthousiasmant quoique créatif.

Avec ce Troisième Quatuor (1948), le Bad boy de la musique – ainsi qu'il s'était défini lui-même dans son autobiographie – propose une œuvre « fondamentalement américaine », comme le dira Leopold Stokowski du dernier Antheil, mais née d'une Amérique qui ne se sent pas obligée d'annexer le jazz pour donner des gages de modernité et d'appartenance nationale. Le Fine Arts Quartet présente fidèlement cet Antheil moins bad boy que solidement enraciné dans les structures de la musique folklorique natale et du pentatonisme.

Direction East-coast à présent, avec Echoes (1965) de Bernard Herrmann, quasiment introuvable au disque et presque jamais entendu sur une scène française. On connaît tous Herrmann (1911-1975) comme compositeur de musique de films. Il a collaboré avec la plupart des géants du cinéma, d’Orson Welles (Citizen Kane) à Alfred Hitchcock (Vertigo, Psychose, etc.) en passant par François Truffaut, De Palma et Scorsese (Taxi Driver). On sait moins qu'à côté de cette activité qu'il considérait comme alimentaire, il est l'auteur d'une œuvre fascinante et originale dont le catalogue comporte notamment un vaste opéra (Wuthering Heights), une symphonie, des cycles de chansons, ainsi qu'une poignée de pièces chambristes où figure un Quintette pour clarinette et quatuor à cordes intitulé Souvenirs de voyages (ne quittons pas le voyage et son inhérente nostalgie) et Echoes, quatuor à cordescréé en 1966.

Tout l'univers cinématographique d’Herrmann est présent dans ce passionnant opus d'une vingtaine de minutes, traversé de nombreuses références aux partitions de Vertigo, Psychose et Obsession. C'est une œuvre complexe, à l'économie interne pleine de brisures, de répétitions et d'un minimalisme bouleversant. Le Fine Arts Quartet est en parfaite empathie avec cette musique qui ne s'adresse ni à notre cerveau, ni à nos émotions mais directement (par un miracle que je n'ai pas encore percé, mais je cherche...) à notre système nerveux.

Après un entracte, direction le Quatuor en fa majeur B.179 « Américain » Op.96 n°12 d’Antonín Dvořák. Là, moins de surprise, car l'œuvre est connue, très connue même, à l'instar de la Symphonie « du Nouveau Monde » composée également en 1893 lors d'un voyage du compositeur tchèque sur le continent. En arrivant en 1892 à la tête du conservatoire de New York, la problématique de Dvořák fut de trouver un son typiquement américain pour cette terre promise qui n'avait pas de culture musicale propre et vivait un melting pot de traditions musicales des émigrants européens. Sa volonté fut d'attirer l'attention des jeunes compositeurs étatsuniens sur le patrimoine propre à leur terre : depuis les chansons des plantations jusqu'aux chants des native americans. Le Fine Arts Quartet souligne aussi l'ancrage de ce quatuor dans la vieille Europe, notamment par les tournures empruntées plus à la Bohême natale qu’aux Amérindiens. Inoubliable, leur interprétation du Lento, subtil enchaînement de thèmes mélancoliques.

Après de longues ovations dans une salle Messiaen presque comble, les interprètes reviennent pour trois bis. Yuri Gandelsman (violoncelle), heureux de constater l'enthousiasme du public, le remercie de vive-voix, ajoutant que si nous prenons du plaisir à les entendre ils en connaissent aussi à jouer, ce qu'ils démontrent par l'irrésistible Valse ridicule d’Alfredo Casella dont l'humour grotesque arrache des rires francs. Les rappels se poursuivent par le splendide Andante du Quatuor en ré majeur Op.44 n°1 de Mendelssohn que le Fine Arts Quartet rend avec une émotion remarquable et dans une atmosphère d'adieux. De fait, ils partent, non sans nous gratifier de la Polka de Chostakovitch, extraite du ballet L'âge d'or Op.28 (Золотой век, 1928).

Un très beau moment.

FXA