Chroniques

par bertrand bolognesi

Madame Butterfly | Madame Butterfly
opéra de Giacomo Puccini

Opéra de Rouen
- 4 octobre 2006
Franck Galbrun photographie Butterfly (Puccini) à l'Opéra de Rouen
© franck galbrun

C’est avec une production vue à Rennes, Loches et Tours que l’Opéra de Rouen ouvre sa nouvelle saison, une production avec laquelle Alain Garichot, complice de Denis Fruchaud pour sa scénographie stylisée, signait une Madama Butterfly salutairement débarrassée de tout kitch, sans pour autant souffrir d’une quelconque froideur, bien au contraire, grâce à une vraie direction d’acteurs qui concentre le spectacle sur le propos, sans futilité. Sur un plateau où trois nattes étagées – sur lesquelles quelques éléments viendront esquisser des espaces situationnels et que rehausseront occasionnellement des paravents de papiers – délimitent la maison que l’officier américain achète à la jeune femme dont il s’éprend, microcosme où le drame ira son cours inévitable. Car il s’agit bien de cela, chaque protagoniste se trouvant enfermé dans un contexte hostile, comme ce Pinkerton montré à la fois monstrueux et si petitement humain et rien qu’humain par les successives déformations qu’impose la lumière des paravents à son ombre (troisième acte).

Ici, les sentiments seront intériorisés, dans une absence de démonstration qui désigne le moindre geste comme particulièrement signifiant. Ainsi l’extrême dignité du Bonze – que l’on montre souvent tant horrifique que ridicule, ce soir dépouillé de ses oripeaux de train-fantôme – éclaire-t-elle d’un autre jour le colérique « E niente bonzeria »du marié. On remarquera la présence allant de soi de l’enfant de Cio Cio San : c’est un bambin qui, parce qu’on ne lui demande que d’être là, simplement, à s’occuper de ses jouets, sans lui indiquer un personnage, nous fait sortir de l’artifice théâtral, contaminant notre émotivité d’une innocence retrouvée. À son heure, la pleine lune apparaît comme un danger : c’est sous le cercle parfait de sa nacre où les destins pourraient bien s’être écrits que s’exprime le désir du couple, dans le grand duo final de l’Acte I ; c’est elle encore qui prélude au néfaste retour de Pinkerton, durant l’interlude orchestral qui lie des deuxième et troisième actes. Enfin, lorsqu’elle a compris ce que lui demandent une femme venue d’Amérique et le consul, c’est sous leurs yeux que Butterfly prépare le sabre qui les délivrera : en un instant, elle a saisi qu’ils lui seraient toujours étrangers et ne pourraient savoir ce qu’elle s’apprête à en faire. De fait, si, au début de l’opéra, l’amoureux lui pose toute sorte de questions sur différents objets ou gestes japonais qu’il remarque encore, personne à présent ne lui demande rien, personne ne s’intéresse à son histoire. Elle se sacrifie derrière un paravent, l’ombre d’un geste transmuant la seule horreur en gravité, pendant qu’à l’avant-scène Suzuki cajole une dernière fois l’enfant.

À cette conception répond un travail de fosse en totale adéquation, au service d’un tout cohérent qui sait faire sainement confiance au génie du compositeur, à l’impact du texte, à l’expressivité de sa partition comme à celles de la voix, du timbre, de la couleur, sans y superposer de parasitaires élucubrations ornementales. Soigneusement précise tout en affirmant une souplesse qu’on ne lui connaissait guère, la conduite d’Oswald Sallaberger cisèle une dynamique heureuse qui ne force jamais le trait.

Côté voix, on notera une certaine unité, partant que les formats sont plutôt raisonnables. On regrettera tout de même le Goro de Jean-Louis Poirier, discrédité par des approximations rythmiques, et le Pinkerton imprécis d’Ewan Bowers qui frustre l’écoute par un aigu trop étroit. En revanche, on félicitera les six autres artistes. Ronan Dubois est un Commissaire Impérial et un Yamadori honorables, malgré un aigu étrangement baillé en arrière-gorge, du coup souvent détimbré, Marc Belleau campe un Bonze sonore et efficace, tandis que le Sharpless attachant de Victor Torres s’affirme vaillant et toujours bien mené. Pour les dames, Marie-Paule Bonnemason donne une Kate irréprochable, Blandine Folio Peres, un rien précautionneuse sur le début, présente une Suzuki dont elle libérera le chant au fil de la représentation jusqu’à l’épanouir au plus fort de son expressivité dans la scène du jardin (Acte III). Enfin, faisant sienne la construction du rôle imaginée par la mise en scène, Rié Hamada offre une Cio Cio San tout en nuances et intériorité – envolées les minauderies d’usage –, d’une grande présence vocale et scénique, dont le grave solide et l’aigu souple servent le chant avec bonheur.

BB