Chroniques

par bertrand bolognesi

Madama Butterfly | Madame Butterfly
opéra de Giacomo Puccini

Opéra national de Bordeaux
- 18 février 2003
toujours aussi sexy, le ténor Brandon Jovanovich incarne Pinkerton
© fréderic desmesure

C’est une mise en scène intéressante bien qu’inégale que propose Numa Sadoul, coproduite par les opéras de Bordeaux et Marseille. Le décor de Luc Londiveau figure le perron de la maison japonaise surélevée, en bordure d’une mer délimitée par iris, bambous, roseaux et diverses herbes à eau. Une mince jetée en bois s’avance en diagonale vers le haut de scène, ponctuée d’un porte-drapeau. Ce dispositif offre plusieurs espaces de jeu, entre une plage d’avant-scène semi sableuse, un arrière-plan par-delà la maison, la perspective dessinée par la jetée de planches et, enfin, l’eau environnante d’où surgira le bonze en colère ou les danseurs douloureusement envoûtant d’un rêve malsain imaginé sur l’interlude d’orchestre.

Parmi les trouvailles assez heureuses, citons l’arrivée de Cio-Cio-San encagée derrière les barreaux d’une chaise à porteurs, mais aussi des protagonistes américains toujours prêts à boire et assez peu dignes, en vérité, que l’on peut parfois même imaginer ivres – le texte ne le ferait-il pas supposer dans les paroles de Pinkerton pour justifier son coup de foudre et le mariage, aspect passant souvent aux oubliettes dans la plupart des productions –, les statuettes symboliques de l’adhésion de l’héroïne à la fois du père de son enfant, un Saint-Esprit et une Statue de la Liberté qu’elle brisera avant son hara-kiri, un léger signe du regard à Sharpless lors de sa visite du deuxième acte afin de l’inviter à ne pas se déchausser pour franchir le seuil de sa maison américaine, ou encore le soin du maquillage, pour le retour tant attendu de l’homme aimé, confié au petit garçon plutôt qu’à la servante attendrie qui regarde la scène.

Certains autres détails paraîtront maladroits ou incohérents, comme l’enfant vêtu en petit cow-boy (fort peu crédible dans le contexte et l’époque de l’action) qui joue avec les rejetons des familles voisines (alors qu’on assiste dès l’Acte I au rejet de Butterfly par toute la société japonaise), le drapeau américain en bannière à l’entrée de la maison (au cas où le texte ne serait assez explicite), un Goro construit selon l’archétype du prêteur juif dans la Russie du XIXe siècle mais qui n’a rien de l’entremetteur discrètement sournois (son jeu est d’une lisibilité stupide), et surtout la mort même de Butterfly, ridiculement chaotique, doublée d’une métaphore lourdaude – elle se traîne sur la jetée, tombe, se relève, tombe, se relève encore, retombe, ainsi de suite, une bonne dizaine de fois, et finit par s’échouer sur le porte-drapeau, au bord de l’eau, ses coudes et la robe dessinant les ailes d’un papillon blanc, image appuyée par un papillon venant danser dans le contre-jour quand retentissent les inutiles appels de Pinkerton.

Le sentiment est donc mitigé face à une mise en scène qui se ménage aussi l’usage de stéréotypes désuets (Kate Pinkerton insipide, mièvre, avec rubans, dentelles et ombrelle telle qu’on la vit cent fois), reprenant ingénieusement à son compte les apparitions fantomatiques d’un Kurosawa des premiers temps (pour la colère du bonze) et inventeavec poésie (la jeune geisha entraîne son amant sur une barque pour y passer une douce nuit de noces). Sans doute pourra-t-on en conclure que ce travail ne résulte pas d’une lecture assez précise de l’œuvre qui aurait amené des choix autant subtils que décisifs.

Musicalement, notre avis se montrera plus monolithique, l’Opéra national de Bordeaux convoquant une distribution sans problèmes. Mises à part quelques réserves quant à la Suzuki de Nona Javakhidze qui ne sonne réellement qu’à la fin et demeure, la plupart du temps, trop confidentielle, et des intervalles parfois douteux dans la bouche d’Ivan Matiakh (Goro), le plateau est honorable. Saluons le couple Butterfly|Pinkerton tenu par la très touchante Hui He dont la voix surprend par son homogénéité, des médiums chaleureusement sonores, des aigus parfaitement préparés, et un jeu toujours juste, sensible, bien qu’un peu appuyé par endroits, et le ténor nord-américain Brandon Jovanovich qui, bien qu’ayant besoin de quelques phrases pour se chauffer, sert la musique de Puccini avec intelligence et vaillance en un style irréprochable, ainsi qu’il semble accoutumé à le faire – remarquable dans Il Tabarro à Angers en avril dernier. Au pupitre, Yutaka Sado fait montre d’une sobriété bienvenue qui lui est peu habituelle, livrant un travail de fin coloriste : on entend le moindre détail instrumental dans un ensemble cohérent et bien mené.

BB