Chroniques

par laurent bergnach

Maa
chorégraphie de Luca Veggetti

Cité de la musique, Paris
- 17 avril 2013
Maa, ballet de Kaija Saariaho chorégraphié par Luca Veggetti
© charles d’hérouville | cité de la musique

Si les opéras de Kaija Saariaho sont largement connus – de L’amour de loin (2000) à Émilie [lire notre chronique du 7 mars 2010] –, on sait moins que la Finlandaise a collaboré avec Carolyn Carlson, à la suite d’une commande du Ballet national de Finlande qui donna naissance à Maa (« terre » en finnois), au Kansallisooppera (Helsinki), le 31 octobre 1991. En accord avec une chorégraphe attentive aux chiffres, le ballet, qui « repose sur l’idée de changements et de transitions d’un état à un autre », convie sept musiciens à jouer sept mouvements eux-mêmes divisés en sept tronçons – « chacun de ces mouvements correspond à un voyage métaphorique différent ». Plus de vingt ans après, les membres de l’International Contemporary Ensemble et les cinq danseurs de la Compagnie Morphoses en assument la création française, dans une vision de Luca Veggetti présentée à New York en septembre 2010.

Plongé dans la pénombre, le public quitte lentement son quotidien avec Journey, un voyage sur bande qui fait entendre derrière lui, dans un large mouvement circulaire, une course martelée qui évolue d’un climat urbain (parquet, train) à un espace naturel (oiseaux, graviers, ressac). L’électronique demeure active pour Gates où interviennent une flûte vivace, japonisante, et un violoncelle comme les aiment la Finlandaise, mais aussi un clavecin énergique. Sur la scène centrale, en amont de celle où se tiennent les instrumentistes, quelques-uns des danseurs se frôlent et s’attirent, avec une volonté récurrente pour chacun : celle de maintenir ses pieds écartés au maximum, les genoux fléchis, et ses mains le plus éloigné possible l’une de l’autre. Cette règle posée, la colonne vertébrale ondule, le corps entier virevolte et brise son élan par un arrêt brusque. Pour accompagner le solo d’une jeune femme, le violon de Door (…de la terre, en version concert) racle, grince et chante. Cœur de la partition, Forest vibre de pizz’ et autres staccati furieux délivrés par le quintette percussion, harpe, clavier, violon et violoncelle.

Quand naît la pensée d’assister à un langage gestuel assez aride, réellement apprécié des seuls connaisseurs, voilà que deux danseurs se changent en manipulateurs, faisant évoluer avec lenteur, dans le halo d’une lampe-torche, une forme « squelettique » composée de tiges de bois et d’une plume de grande taille – protiste, humanoïde, quadrupède ou spectre, selon l’éclairage et l’imaginaire de chacun. Ce Windows crépusculaire pour bande, qui ramène à la mémoire le clair-obscur sylvestre d’Antti Puuhaara [lire notre chronique du 10 décembre 2011], est suivi de Fall, entendue sous les doigts de la même harpiste lors du prélude à ce Domaine privé Kaija Saariaho [lire notre chronique de la veille]. Durant l’exécution, deux danseuses agenouillées sollicitent l’arabesque d’une ou plusieurs mains au-dessus d’un rectangle de lumière, semblable à celle de poissons dans un aquarium.

Pour finir, l’ensemble fait résonner Phœnix (Aer, en version concert), musique inquiète et tendue d’abord secouée de déflagrations. La flûtiste avance en diagonale sur le rouleau de papier qu’on déroule à ses pieds (la partition, semble-t-il), tandis que le « monstre » de Windows entame une danse avec un alter ego – de temps à autre, les baguettes changent de mains pour rendre au marionnettiste sa nature de danseur. Ayant exploité « d’intéressantes possibilités de métamorphoses musicales », le spectacle s’achève dans un vrombissement de haut-parleurs, avant d’être salué comme il le mérite par une salle qu’on aurait souhaitée plus peuplée.

LB