Chroniques

par françois cavaillès

Lucia di Lammermoor | Lucie de Lammermoor
opéra de Gaetano Donizetti

Opéra de Massy
- 12 février 2016
Lucia di Lammermoor (Donizetti) à l'Opéra de Massy (2016)
© mpc | marc bissières

Avant que nous harasse la morosité de février à Paris, voilà une visite hivernale bienvenue : oui, Lucia est revenue ! Il valait mieux ne pas manquer le rendez-vous de Massy, en cette fin de semaine de la Saint-Valentin, avec la production récente, simple, digne et tout à fait remarquable de la compagnie Opéra Éclaté et du Centre Lyrique Clermont Auvergne.

Les amateurs de mise en scène classique sont servis à merveille, au fur et à mesure qu’avec les stricts moyens du jeu théâtral et de la voix, les interprètes se croisent, s'affrontent ou s'étreignent sur un unique plan incliné central, en forme de losange. Même belle sobriété des lumières de Patrice Gouron, jouant adroitement sur quelques couleurs unies en fond de scène, et des costumes de Ruth Gross, élégants, avec une agréable petite touche moderne. Parfois très proche du drame italien traditionnel, ce dispositif al dente mis en place par Olivier Desbordes, également directeur artistique du Festival lyrique de Saint-Céré, dans le Lot, exige des chanteurs – jeunes et charmants pour la plupart, mais tous convaincants – un investissement fort d'entrée, avant d'être emportés vers le tragique et quelquefois menacés par le pathétique.

Ainsi l'Enrico du baryton Gabriele Nani fait-il vite bonne impression en alliant une jolie puissance et un timbre impeccable. Le Raimondo de Christophe Lacassagne se révèle, quant à lui, au dernier acte, en coulant un alliage brut de force et de diction dans un arioso aussi onctueux que définitif, double constat du geste fatal et de l'irréversible malédiction de Lucia. Peu d'accessoires pour beaucoup de lyrisme « naturel », en situation : la formule est aussi convaincante pour les deux grands rôles de la soirée. Belle fidèle au personnage éponyme à travers le monde (Berlin, Marseille, Tel Aviv, Florence, etc.), le soprano Burcu Uyar atteint ici la perfection dans le jeu de damnée vivante, seyante et aimable malgré tout, aussi bien que dans l'émission et la longueur du chant [lire notre chronique du 18 décembre 2015]. Seule déçoit un peu la scène de la folie, donnée peut-être trop dans l'évocation égocentrique ou dans l'épreuve sanguinolente. Réussite totale, en outre, avec et pour son partenaire, le ténor Julien Dran qui compose un superbe Edgardo, héroïque à l'ancienne, nerveux et habité, la voix pleine de cœur dans l'air final.

Mais le plus grand mérite revient à l'Orchestre Opéra Éclaté, dirigé par Gaspard Brécourt, qui se montre, plus par la qualité que la quantité, excellent interprète de Donizetti. La fosse put paraître dépeuplée avant le lever de rideau, mais le plaisir n'en est que démultiplié ensuite ; par exemple, parmi les bonheurs ainsi distingués, le solo de harpe par Julien Marcou (prélude précédant l'entrée de Lucia et Alisa). Autre avantage du petit effectif instrumental : la symbiose avec les chanteurs est parfois évidente, ainsi le quatuor de la fin de l’Acte II qui semble doté d'une force irrésistible, comme synonyme de la passion de l'opéra.

Le Chœur Opéra Éclaté n'est pas en reste puisqu’après un semblant de retard à l’allumage, à l'inverse du besoin de gros explosifs des premiers tableaux, il donne un élan précieux à cet immense drame ici offert à pleine taille humaine (notamment aux lueurs funestes du dernier acte). Quelle envie de se retrouver un soir d'été, en si bonne compagnie, aux joies de Saint-Céré !

FC