Recherche
Chroniques
Lotario | Lothaire
opéra de Georg Friedrich Händel
Après avoir apprécié la représentation d’un ouvrage oublié de Charles Gounod, Cinq-Mars, donné la veille à l’Opéra de Leipzig, je reprenais la route dimanche matin vers l’ouest, pour gagner, en quasi ligne droite et en à peine plus de deux heures, la bonne ville de Göttingen.
Contrairement à mon habitude, j’ai un peu tardé à livrer cette recension à la rédaction. Tandis que je la rédigeais, la colère insensée d’un metteur en scène m’a bouleversée, un artiste qu’en rien mon article mettait en cause, au contraire [lire notre chronique de la veille]. D’abord, la hargne littéralement furieuse à me dénigrer publiquement sur les réseaux sociaux m’a fait perdre du temps à justifier ma prose par une lettre ouverte (parue sur Facebook), au lieu de finir ma critique. Puis l’amertume laissée par cette attaque très violente provoqua chez moi, passée l’énergie de la rétorque, de nombreuses interrogations quant au rôle du journaliste et à sa place dans le dialogue culturel. Et je dois avouer qu’il me fut malaisé de reprendre sereinement le fil, car on ne sort pas indemne de ces agressions.
À ceux qui m’ont manifesté leur soutien, je dis un grand merci et donne d’autant plus volontiers le récit du lendemain, consacré à l’Internationale Händel Festspiele, une institution allemande qui fêtera son centenaire dans trois ans. On a du mal à imaginer en France plusieurs festivals consacrés au même compositeur. Nos voisins, qui ne s’en disent pas choqués, voyagent avec enthousiasme de Karlsruhe à Göttingen et Halle (où le musicien naquit en 1685) pour écouter la musique de Georg Friedrich Händel [lire nos chroniques des 25, 26, 27 et 28 février 2017, ainsi que des 8, 9 et 11 juin 2003], chacune de ces villes se considérant tout de même un peu comme détentrice de la meilleure programmation en la matière, chauvinisme oblige.
Cette dernière représentation de Lotario, opéra créé à Londres en décembre 1729, marque aussi la clôture du festival. Non seulement Lotario, qui trouve son inspiration dans l’histoire allemande, est des moins connus de son auteur, mais encore, loin de rencontrer le succès en son temps, fut-il un véritable gouffre financier. Une douzaine d’années après la version de concert dirigée au Théâtre des Champs-Élysées par Paul Goodwin, que décrit mon collègue [lire notre chronique du 15 juin 2005], le chef et claveciniste britannique Laurence Cummings, actuel directeur artistique du festival, mène la fosse du Deutsche Theater. Il a choisi de jouer l’œuvre dans sa totalité ou presque (vraiment peu de coupures). L’énergie qu’il y déploie domine une prestation pleine d’élégance. Il dispose d’une formation qui se réunit chaque année, uniquement pour le festival, donc une structure très mobile, le Festspielorchester Göttingen, n’ayant pas à rougir à côté de confrères qui s’entraînent ensemble plus régulièrement.
Les six rôles de la pièce bénéficient de belles incarnations. Le jeune soprano suisse Marie Lys, dont la carrière se construit dans la sphère baroque, rend fascinant le rôle d’Adelaide, par un colorature qui fait son effet, surtout dans l’art de l’ornement dont elle a fait siens tous les secrets. Cette virtuosité véhicule le courage de la reine. Le charisme du mezzo-soprano Ursula Hesse von den Steinen, aplaudi récemment dans le répertoire moderne [lire notre chronique du 19 avril 2016], dispose d’une certaine variété de couleurs dans les différents registres qui permet des nuances théâtrales appréciables. Elle convainc haut la main en Matilde. Le contre-ténor Jud Perry démontre une technique en béton en Idelberto, personnage cruellement malmené par l’argument, qu’il rend avec beaucoup d’émotion. L’Espagnol Jorge Navarro Colorado (ténor) prête une voix solide à Berengario, qu’il caractérise avec une parfaite fermeté d’émission. La puissance est aussi du rendez-vous, sans oublier la présence scénique attachante. Baryton robuste aussi bien impacté dans les graves que dans les aigus, Todd Boyce compose un Clodomiro sexy auquel la mise en scène demande beaucoup. Le rôle-titre n’est pas attribué à un alto masculin mais au mezzo autrichien Sophie Rennert, usant principalement des qualités de douceur, sans escamoter les traits plus brillants (Vedro piu liete belle remarquable, à l’Acte III).
Salué pour son travail souvent sensible [lire nos chroniques du 20 janvier 2011, du 5 février 2009 et du 8 avril 2008], Carlos Wagner a été invité à réaliser Lotario par le directeur général du festival, Tobias Wolff. Dans le décor en abime baroque de Rifail Ajdarpasic, sorte de musée des ressorts du genre en défilé de peintures guerrières, fort bien mis en lumières par Guido Petzold, il a su inventer certaines contraintes physiques qui dynamisent de façon imparable l’investissement dramatique des chanteurs. À sa demande, Ariane Isabell Unfried a confectionné des costumes de l’époque du compositeur, dont un qui prend une liberté intéressante avec le texte original : Clodomiro, qui devrait être un général en tenue, est un prêtre en soutane ! Pourqoi ? J’ai bien réfléchi… mais vous m’en demandez beaucoup, là ! Je me suis beaucoup plus attachée à l’option chorégraphique qui s’inspire de la danse butō pour tordre dans les corps la psychologie des protagonistes. J’espère vivement que cette production réussie – quatre heures passent comme si de rien n’était, c’est tout dire – se promènera sur d’autres scènes européennes.
KO