Chroniques

par laurent bergnach

L'Itinéraire de nuit III
D'Adamo, Drouin, Ibarrondo, Marçot, Rebotier et Verrières

Cité Internationale Universitaire, Paris
- 24 mars 2007
L'Itinéraire à la Cité Internationale Universitaire... de nuit !
© l'itinéraire

Cette année encore, du couchant à l'aube, L'Itinéraire de nuit (troisième édition) propose une diversité de lieux, de courants musicaux (improvisation, acousmatique, etc.) ainsi que de modes d'écoute originaux (concert sous les casques, écoute sur et sous l'eau). La soirée débute avec Les Cris de Paris (créé par Geoffroy Jourdain) dont les membres encadrent le public pour la pièce éponyme de Clément Janequin. La scène est ensuite gagnée, pour quatre commandes s'inscrivant dans un projet amorcé en 2004, sur les cris de la ville.

L'Argentin Daniel D'Adamo (né en 1966) a souhaité illustrer le contraste entre violence urbaine et la moderne solitude de l'habitant d'une capitale. Anima urbana (Paris) mêle vocalises, petite percussion, claquements de mains, sifflet à des mots malheureusement chuchotés ou débités trop rapidement pour qu'on les retienne. Dans Tapez un de Jacques Rebotier, l'opposition est également de mise : entamé par un Lacrymosa en solo, un chœur issu de la liturgie des morts est maltraité par les interventions parlées et cyniques d'un serveur téléphonique – « si tu veux ta maman, tape 1 ». De cette illustration un peu bavarde de notre « vallée de rire et de larmes » saluons avant tout le résultat glaçant de certaines onomatopées, métissage entre vagissements de bébé, croassements et gémissements de chien.

Pièce d’une grande virtuosité rythmique, inspirée par les manifestations de colère ayant suivi l’attentat de la gare d’Atocha en 2004, Gau-kanta entraîne dans un univers où l’énergie circule et tourbillonne : Félix Ibarrondo y fait surgir les mots muerte ou lagrima da sangre d’un chant riche en glissandi et vocalises toniques. À ce « chant de la nuit » succède Etic de Caroline Marçot (née en 1974), musicienne issue des Cris de Paris. Un mur d’expression libre, reliant Pantin au XIXe arrondissement, a fourni à la compositrice sa matière poétique. Une fois encore se succèdent mots et vocalises, dans un souci de spatialisation (certains chanteurs sont déplacés du centre vers l’extrémité du rang). Globalement serein, le climat de ses cinq mouvements captive à long terme l’attention.

Toujours donné dans l’Espace Adenauer, le second concert propose deux créations mondiales de jeunes compositeurs marqués par l’ouverture des langages. Après Ionisation, le classique de Varèse donné par les élèves de la classe de percussion du CNR de Boulogne-Billancourt, quatre solistes de L’Itinéraire jouent Merkabah pour clarinette, cor, harpe, percussion et dispositif électronique. Né en 1970, élève de Levinas, Grisey, Stroppa et Dalbavie, Geoffroy Drouin a souhaité un voyage autour de la distorsion, « tour à tour lui conférant une place formelle particulière, comme un point de tension critique de la partition, ou, à d’autres moments, l’intégrant comme un timbre singulier parmi les autres ». Ici, des déflagrations sourdes annoncent un tissage équilibré entre sons acoustiques amplifiés et traitements en temps réel, témoignant d’une maîtrise convaincante de l’élément électronique, et donnant envie d’approfondir l’écoute de l’œuvre.

Enfin, Images de Frédéric Verrières (né en 1968) est une suite de visions du Poissons d’or de Debussy (troisièmes des Images de Livre II), donné par un piano préparé ou fécondant un ensemble instrumental dirigé par Mark Foster. En temps réel, le clavier déclenche des images sur l’écran en surplomb – le visage en gros plan du pianiste (et compositeur) Fuminori Tanada, coloré de rouge, dont l’expression change à chaque note jouée.

LB