Chroniques

par bertrand bolognesi

Liederabend Piotr Beczala
Dvořák, Karłowicz, Rachmaninov et Schumann

Salzburger Festspiele / Haus für Mozart, Salzbourg
- 17 août 2014
À Salzbourg, Piotr Beczala chante Dvořák, Karłowicz, Rachmaninov et Schumann
© salzburger festspiele | marco borrelli | lelli

Après Anna Prohaska, Thomas Hampson, Christian Gerhaher et Anja Harteros, c’est Piotr Beczala qui offre son Liederabend au Salzburger Festspiele. Avant de promener l’écoute dans le répertoire slave, il consacre toute la première partie de ce récital à Robert Schumann, avec un Dichterliebe Op.48 d’une belle sensibilité. Les premiers en sont un rien « opératiques », servis par un aigu flamboyant et un piano copieusement pédalisé (Im wunderschönen Monat Mat). Dès l’abord s’impose une diction exemplaire du poème, mais encore un souffle qui semble infini, ne laissant jamais percevoir la moindre césure respiratoire, dans un phrasé nourri d’une souplesse rare. Au tendre Aus meinen Tränen sprießen succède Die Rose plus lyrique puis Wenn ich in deine Augen seh’ encore assez théâtral, dont « Ich liebe dich », susurré dans une folle douceur, ouvre la voie à l’art de l’intime confidence : dès lors, les mélodies demeureront dans un cadre plus subtile. Le grave fait surface dans la cinquième du cycle sur les vers d’Heine, s’affirmant plus encore par une couleur presque barytonante dans le suivant (Im Rhein, im heiligen Strome) qui sourd des catacombes, dont le second couplet est livré sur le fil d’un choral à la manière ancienne, profondément recueilli dans son inquiétude même. Ich grolle nicht donne le frisson !

Dans l’urgence d’un paysage tourmenté qu’on verrait défiler derrière la vitre d’un train, le ténor polonais donne Und wüßten's die Blumen, conclu par la fougue quasi-concertante du piano – ici Kristin Okerlund, dont l’inflexion assez élastique pose quelques interrogations. De fait, le neuvième poème accuse certains appuis trop accentués et un rubato un brin surfait. Elle ciselle cependant l’harmonie ambiguë d’Hör’ich das Liedchen klingen que Beczala entonne du bout des lèvres. On a du mal à redescendre de ce moment de grâce absolu après lequel les onzième et douzième Lied sembleront plus techniques. Et voilà qu’Ich hab’ im Traum geweinet irrésistiblement nous happe, d’une délicatesse indicible, de même qu’Allnächtlich im Traume. Le chant se libère encore dans l’antépénultième séquence, faisant alors contraster l’impitoyable glas introductif de la conclusion, Die alten bösen Lieder, ballade fermement dite, traversée d’un brio contenu, enfin d’une lumière qui se pourrait prétendre céleste pour « …so gross und schwer mag sein?... » (dernière strophe). Plutôt que d’en soigner la demi-teinte qui serait tirer Schumann vers un symbolisme à venir (nous ne sommes qu’en 1840, rappelons-le), Okerlund va plus loin encore dans le temps, avec un postlude rugueux, presque expressionniste – quelque part entre Caspar Friedrich et Ernst Kirchner.

Saxon, Schumann n’était géographiquement pas si loin des contrées slaves, alors sous influence austro-hongroise. Un romantisme plus tardif et, par conséquent, souvent assez éloigné de son modèle, verrait le jour en Bohème, mâtiné de ce fort sentiment national. Et dans ces considérations territoriales, il se trouve que c’est à Dresde que Mieczysław Karłowicz passa en partie son enfance. Né en Russie d’alors, dans une ville aujourd’hui biélorusse, le compositeur polonais ne devait découvrir Varsovie qu’en 1887, à l’aube de son adolescence. Il y poursuivra l’étude de son art, commencé en terre germaine, avant d’aller le peaufiner en Prusse, ce qui ne contredit pas son engagement postérieur dans la cause polonaise. Piotr Beczala a choisi sept de ses vingt-trois chants composés entre 1895 et 1898. Il en sert l’inspiration volontiers traversée d’un miel sentimental persistant de voix mixtes infiniment travaillées, d’un grain précieux, d’une verve parfois tchaïkovskienne (on y entend son Lenski, bien sûr) ; en pleine possession de ses moyens, il se révèle grand coloriste, avec une séduisante facilité et une dynamique toujours avisée.

Entre 1890 et 1912, Sergueï Rachmaninov, l’aîné de trois ans de Karłowicz, écrivit six recueils de romances. Nous entendons quatre mélodies de ce vaste corpus qui en compte une soixantaine. Là encore, l’influence de Tchaïkovski est évidente, jusqu’au célèbre Не пoж, красивая Op.4 n°4 qui, dans la généreuse inflexion de ce soir, dépasse largement le salon. Piotr Beczala et Kristin Okerlund terminent ce programme avec les sept Cikánské melodie Op.55 de Dvořák (Mélodies tsiganes, 1880 dont la facture est décidément tournée vers l’avenir (à chercher plus du côté de Janáček et de Suk que de Smetana). De son accueil chaleureux et enthousiaste le public est remercié par deux pages de Leoncavallo, mais encore deux Lieder de Richard Strauss. Standing ovation !

BB