Chroniques

par gilles charlassier

Les voyages de Don Quichotte
conte musical de Vincent Huguet

Opéra national de Bordeaux / Auditorium et Grand Théâtre
- 17 septembre 2016
à Bordeaux, les voyages du Quichotte sillonnent la ville....
© frédéric desmesure

Commémoration et inauguration semblent faire bon ménage pour l'ouverture de la première saison de Marc Minkowski à la tête de l'Opéra national de Bordeaux. Placé sous le signe de Don Quichotte, le spectacle participe des célébrations du quatre centième anniversaire de la disparition de Cervantes, plus idiomatique peut-être que Shakespeare dans la métropole girondine, voisine de l'Ibérie et où Goya trouva refuge il y a deux siècles.Conte musical en deux lieux et cinq tableaux, à mains multiples oserions-nous, ainsi se présente un concept reliant les deux salles de la maison et réunissant l'ensemble de ses forces vives, de l'orchestre au ballet, dans une sorte de synthèse réconciliant les talents.

C'est à l'Auditorium Dutilleux que commence l'itinéraire, sous la baguette du directeur musical de l'Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Paul Daniel. Après La Quête, extrait de la comédie musicale L'Homme de la Mancha de Mitch Leigh et Joe Darion adaptée en français par Jacques Brel, où Anna Bonitatibus est accompagnée par la guitare de François Chappey, les trois mélodies de Ravel, Don Quichotte à Dulcinée, s'inscrivent dans un cycle que la phalange bordelaise consacre cette année au compositeur français. Dans les deux premières pages, Chanson romanesque et Chanson épique, Andrew Foster-Williams se mêle à la discrète mélancolie de la direction du chef britannique, tandis qu'Alexandre Duhamel instille la gouaille bouffonne attendue dans la Chanson à boire. Le poème symphonique – ou plus exactement phantastische Variationen über ein Thema ritterlichen Charakters (variations fantastiques sur un thème de caractère chevaleresque)– Don Quichotte Op.35 de Richard Strauss offre l'opportunité d'une démonstration de savoir-faire virtuose à laquelle plus d'une formation s'abandonnerait jusqu'aux confins du mauvais goût. Si le panorama cinématographique de mornes plaines (de la Mancha) atteint sans tarder ses limites, quand bien même les indications programmatiques peuvent secourir le mélomane au milieu de foisonnements de timbres peut-être trop évocateurs, la lecture proposée par Paul Daniel s'abstient à-propos d'excès de sensationnel. Économe en effets, elle magnifie les couleurs sans jamais les alourdir, autant que l'agilité aérienne du violoncelle d'Alexis Descharmes, sans négliger l'alto de Nicolas Mouret.

À la suite d'une déambulation sur le cours de l'Intendance que goûteront éventuellement les amateurs d'équidés, le public rejoint la salle historique dessinée par Victor Louis, pour la seconde partie de cette aventure inaugurale, sollicitant le versant lyrique de l'institution aquitaine. On ne saurait bouder l'initiative de mettre à l'affiche Les tréteaux de maître Pierre, opéra en un acte de Manuel de Falla qui s'amuse habilement des codes du genre. Andrew-Foster Williams y rejoue l'égarement illuminé de Don Quichotte, quand Mathias Vidal assume sans faiblesse la déclamation de Pierre. Si l'ouvrage laisse une dernière fois le podium à Pierre Dumoussaud, remarqué assistant de Paul Daniel les deux dernières saisons, la conception de Vincent Huguet, assaisonnée d'extraits du film Don Quichotte de Wilhelm Pabst, ne donne son meilleur qu'au lever de rideau sur la fosse et l'opus que Massenet consacra à l'hidalgo, réduit ici en son premier tableau et ses deux derniers actes. La scénographie épurée met en valeur les costumes bigarrés autant que la chorégraphie alerte de Bianca Li, assurée par Sara Renda et Oleg Rogachev, et ne méprise pas les ressources de la salle pour inviter l'assistance à un spectacle total qui ne se dilue pas dans les marges plus ou moins pelliculaires du théâtre.

Andrew-Foster Williams ne quitte point la défroque du chevalier, qui sied aussi bien à son gosier que Pança à celui, riche de caractère, d'Alexandre Duhamel, lequel se confirme comme l'une des voix essentielles de la nouvelle génération. Anna Bonitatibus confie à Dulcinée la chaleur d'une sensualité qui n'omet point d'émouvoir. Katherine Watson et Albane Carrère ne déméritent aucunement en Pedro et Garcias. On appréciera le Rodriguez de Mathias Vidal et Thomas Bettinger en Juan. Mentionnons encore les deux valets, Jean-Philippe Fourcade et Luc Defaut, ainsi qu’Eugénie Danglade (une femme). Marc Minkowski distille une générosité communicative dans laquelle se glissent les chœurs préparés par Salvatore Caputo.

GC