Chroniques

par gérard corneloup

Les Nations de Couperin par Les Ombres
oratorios de Charpentier par Les Arts Florissants

Festival d’Ambronay / Opéra national de Lyon et Abbatiale
- 4 et 5 octobre 2012
Les Ombres, un jeune ensemble baroque en concert à Lyon
© b. pichene

« Un programme inédit dédié à l’Europe des arts au temps de François Couperin » : tel est le credo prometteur qu’annonce le texte du programme. Une proposition alléchante qui ne peut qu’attirer et séduire l’amateur de musique baroque fidèle au Festival d’Ambronay, en l’occurrence dans la petite salle de l’Opéra national de Lyon, connue pour sa prédisposition quand aux petits ensembles. L’envie de réunir Les Nations, partition phare de François Couperin, et certaines pages de son époque à la fois peu connues et peu servies par les artistes d’aujourd’hui, est d’emblée prometteuse. L’idée de retrouver aussi bien Bach que Campra, de rencontrer deux compositeurs espagnols oubliés du Grand Siècle, Antonio de Literes et Sebastian Duron, sont agréables. Las ! L’infortuné amateur va vite devoir déchanter… si j’ose dire.

D’une part, les susdites Nations, La Piémontaise comme L’Espagnole, L’Impériale comme La Françoise, auront même couleur – pour ne pas dire absence de couleur –, mêmes consistance, densité, intensité ; avec une opposition par trop homéopathique entre pièces d’inventions et pièces construites, notes courtes et notes tenues, colorations claires et sombres… Visiblement, aux Ombres [photo] il manque un chef à la barre, un architecte sur la dunette, un fédérateur sur l’estrade. Lors d’une franche et lumineuse attaque du basson, d’une belle introduction du théorbe, de la fine trame construite par une (courageuse) claveciniste, des éclairs musicaux, on note bien de superbes et jeunes individualités. Mais ce ne sont que brefs moments, bien moins longs que le discours imposé par la violiste de gambe pour tout nous expliquer. Côté longueur, justement, on se demande si le travail en commun le fut aussi en profondeur.

Reste, évidemment, le chant et l’interprétation du jeune mezzo-soprano Isabelle Druet qui apporte une autre composante et une autre question. La ligne de chant est lyrique, bien tenue, claire dans l’aigu peut-être un rien durci. Mais elle est par trop dépourvue de ductilité dans le mezza voce et de souplesse comme de présence dans le médium, et le chant ne semble pas vraiment correspondre aux exigences du chant baroque. Bref, Couperin n’est pas Bizet !

Les grands anciens d’aujourd’hui ont été les jeunes redécouvreurs du répertoire baroque qu’ils remirent « dans son jus » en le débarrassant d’ajouts successifs et pesants infligés par les postromantiques. Ils ont encore de beaux jours devant eux, comme le montre à l’évidence la nouvelle visite rendue par William Christie à ce festival qui, dès ses débuts, accueillit les pionniers : déjà le juvénile « Bill » était déjà du nombre ! Le voilà revenu avec Les Arts Florissants, son ensemble fétiche qui ne prend pas une ride, où les anciens font une place de choix aux petits nouveaux et dont le maestro sait fondre avec perfection les composantes.

Christie, s’est aussi Charpentier, ce musicien français trop longtemps délaissé dont l’Américain défendit les partitions, tant profanes que sacrées, à commencer par le fameux Office des défunts. Le chef revient avec des œuvres d’inspiration religieuse : d’abord Cécile vierge et martyre, oratorio d’une eau superbe et d’un vocalité particulièrement élaborée, en particulier lors des épisodes concertants et choraux ; ensuite, une pièce chorale intermédiaire dense et ramassée, le Motet pour les Trépassés ; enfin, L’Enfant prodigue, lequel reprend un autre temps fort de la légende biblique dans lequel la composante chorale est tout aussi sollicitée.

Que dire de l’interprétation, sinon qu’elle est une merveille de simplicité, d’efficacité, de musicalité, d’homogénéité, bref : de bonheur pour l’auditeur, depuis la première jusqu’à la dernière note ? Présente mais jamais pesante, la direction sculpte à la perfection la pâte instrumentale et vocale. Le continuo est soigneusement dosé. Le jeu des divers pupitres instrumentaux est aussi subtil qu’éloquent, les parties chorales sont détaillées sans failles.

Mais il y a mieux : c’est justement dans ces derniers rangs que chantent les divers solistes, lors d’interventions personnalisées, le tout à la perfection. Ainsi Rachel Redmond, Cecilia pleine de sensibilité et premier dessus dans le motet, avant de fondre son chant dans l’élément choral pour L’Enfant prodigue. Il est bien difficile, dans ces conditions, de citer tous ceux qui concourent à l’élaboration d’un moment de pure grâce musicale, longtemps applaudi par un public conquis.

GC