Chroniques

par gilles charlassier

les jeunes compositeurs de l’académie Voix nouvelles
Bragg, Coelho A.S. Marques, Corti, Costa, Ding, Han, Kitazume,

Ko, Leimane, Nakahori, Pak, Repečkaitė, Reyes Macahis et Sheen
Festival de Royaumont / Abbaye, Salle des charpentes
- 8 et 9 septembre 2018
Jack Sheen (25 ans), l'un des jeunes compositeurs joués à Royaumont 2018
© dr

L'académie Voix Nouvelles, et les deux concerts de fin de résidence, constituent un des rendez-vous consacrés aux nouveaux talents de la composition. Pour la présente édition 2018, ce sont quatorze plumes venues de tous les continents (ou presque) qui suivirent les conseils et masterclasses de Noriko Baba, Philippe Hurel et Mauro Lanza, pour accoucher de la pièce en cours d'écriture qu'ils avaient emmenée dans leur bagage, et que défendent les solistes des ensembles Meitar et Exaudi.

Dans la Salle des charpentes, le concert de samedi fait entendre un premier volet de sept partitions qui s'ouvre sur un opus pour piano solo de Lanqing Ding, dont l'idéogramme chinois en guise de titre signifie Hurler. Il n'en faudrait pas pour autant déduire quelque exhibitionnisme expressionniste : la page prend plutôt l'allure d'une étude qui explore les ressources de l'instrument et de diverses préparations, sans faire passer la poésie sous la coupe du systématisme. La mobilité des couleurs et des textures s'appuie sur une fluide immersion-variation dans la table d'harmonie, agrémentée çà et là de syncopes et d'accents aux confins du jazz, témoins d'une palette heuristique transgenre qui a généreusement tiré profit des masterclasses.

Pour trio vocal et instrumental associant clarinette, ténor et contre-ténor, Hypnos de Nuno Costa est tressé de vocalises qui transpirent l'héritage de Berio. Les modulations consonantiques se concentrent sur l'émergence de l'émission sonore, tel une sourde gangue se nourrissant du souffle. Non dénué de qualités dramaturgiques, le résultat relève d'abord de l’exercice bien fait. Autre trio, à cordes cette fois (violon, alto et violoncelle), Courante d'Igor Coelho Arantes Santana Marques affirme un pointillisme qui s'articule autour d'un fantôme de musique baroque traduit dans un langage non vernaculaire, dont l'errance au gré des pupitres et des modes d'attaque résonne comme un ralenti du geste musical. Cette plongée dans le spectre des cordes cataloguées frottées ne manque pas de maîtrise.

Avec Designation & Expulsion, Justina Repečkaitė investit les fréquences les plus basses du spectre acoustique, confiées naturellement à la tessiture vocale la plus grave, secondée par un mezzo-soprano. Les chants païens lituaniens, qui forment la matière textuelle, élaborent un magma de diphtongues et de borborygmes sur un caressant lit percussif, favorisant une décantation incantatoire habilement extraite de la fonction rituelle primitive de la source comme de la documentation ethnographique. Pour un trio réunissant baryton hautbois et alto, The body of absence de Tonia Ko se donne comme autre expérimentation sur le filtre mnésique. Là où le zombie de Courante retenait la cinétique harmonique, la compositrice hongkongaise privilégie un lyrisme pointilliste, habité de réminiscences d'harmonica ventilées par le jeu instrumental et la nasillarde distorsion du chant par un kazoo.

Le programme du samedi se referme sur deux sextuors exclusivement vocaux. De Feliz Anne Reyes Macahis Prologue superpose des textes en allemand et en anglais pour éprouver, avec un appréciable efficacité, la plasticité de la solidarité spatio-temporelle de l'ensemble. Traversé de dynamiques diverses, celui-ci maintient une homogénéité qui se définit comme multiple. Avec Purtroppo, Simone Corti applique un principe similaire d'anamorphose sur deux madrigaux de Monteverdi dont il redéveloppe le langage à travers divers tamis herméneutiques, à la manière des logiciels de traduction automatique. Cela produit une élucubration ludique où l'oreille prend plaisir aux inventives déformations de la mélopée originelle, dans une recréation musicologique qui excède les limites de la rigueur scientifique en reconstituant un archétype imaginaire du madrigalisme – le pastiche ne se farde pas nécessairement de passéisme et peut baigner dans la modernité.

Dimanche, Hiromichi Kitazume est le premier des sept compositeurs de la seconde session. Sollicitant l'ensemble des effectifs de Meitar et d'Exaudi, Vers une mécanique de l'esprit fusionne le tissu instrumental et vocal dans une mosaïque de contrastes et de dynamiques percussifs. Conçu pour la même nomenclature, enrichie d'appeaux, The last stars de Xue Han prélève dans les sons traditionnels du sud-ouest de la Chine un canevas de diphtongues déplié sur des micro-intervalles, éprouvant ainsi l'élasticité de l'émission sonore, primant sur les scories sémiotiques sous-jacentes aux phonèmes. Pour soprano et ensemble, Zero II de Kaito Nakahori s'inscrit également dans ces recherches autour de l'antichambre physiologique de la parole, cette fois selon une économie maximale, au diapason évident du titre. Cette élaboration matérielle n'exclut pas pour autant un instinct de la forme et du discours, au delà du minimalisme de l'affect.

Jakob Bragg consacre au quatuor purement instrumental (flûte, hautbois, percussions et piano) That ferocity within. L’œuvre contient les déflagrations potentielles dans une tension intériorisée et fait valoir un artisanat qui ne verse pas dans la vacuité démonstrative. Avec Ophelia, Linda Leimane réunit un octuor (flûte, clarinette, hautbois, violon, alto, violoncelle, piano et percussions) pour faire vaciller des motifs d’une manière qui se veut quasiment hypnotique. La pondération du tempo de The moments II de Sunyeong Pak (pour le même dispositif) se construit sur une désagrégation mélodique qui n'oublie pas la sensibilité des timbres, réduits à l'état de traces. Avec Long pan requiem, Jack Sheen invite le public à rejoindre le Réfectoire des moines pour une déambulation au milieu de polyphonies qui ordonnent alphabétiquement les syllabes d'un Introït de Requiem. Si la scénographie ne saurait prétendre à l'innovation, la pièce n'en réussit pas moins une immersion poétique qui sait imprimer sa propre mesure du temps. À vingt-cinq ans, le Britannique [photo] peut se targuer d'une authentique science de l'art musical.

GC