Chroniques

par bertrand bolognesi

Les Indes galantes
opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau

Théâtre du Capitole, Toulouse
- 4 mai 2012
Hélène Guilmette dans Les Indes galantes (Rameau) au Capitole de Toulouse
© patrice nin

C’est un paradoxal sentiment de trop-plein sans satiété qui nous habite au sortir de cette première des Indes Galantes. Tout a pourtant plutôt bien commencé… Pour cette quasi résurrection du manuscrit dit « de Toulouse » par Christophe Rousset, la maison toulousaine a confié la scène à Laura Scozzi. Une nouvelle fois, reconnaissons qu’en général les chorégraphes ne se trompent guère lorsqu’ils mettent en scène un opéra. Aussi l’Italienne suit-elle comme « naturellement » la partition de Rameau en régissant des déambulations qui vont d’elles-mêmes, qu’elles soient dansées ou non. Encore ne se contente-t-elle pas de cette appréciable perception musicale et l’approfondit-elle par une approche fouillée du livret. Sa proposition (ou peut-être faut-il écrire « ses propositions »…) s’impose par son intelligence, sa cohérence, voire ses extrapolations, mais sans doute moins par les divagations induites, voire le fouillis qui s’ensuit.

Avec Laura Scozzi, ses danseurs et ses figurants, on se réjouit d’un Éden effervescent de bonheur simple, de joie enfantine, de nudité sautillant dans sa fraîche innocence. Dans le plus simple appareil une dizaine de corps survoltés s’ébroue dans l’humide verdure tropicale imaginée par Natacha Le Guen de Kerneizon, sur l’enthousiasme complice et parfois électrique des Talens Lyriques. Apparaît bientôt Hébé, remarquablement incarnée par Hélène Guilmette qui, avec une déclamation minutieuse quoique jamais laborieuse, un timbre avantageusement impacté et une conduite pleinement maîtrisée, se révèle bientôt LA voix de la soirée. Aimery Lefèvre gagne le plateau en Bellone efficace, tandis que Julia Novikova, moins en grâce, campe Amour. De la Jeunesse qui emportera les joyeuses injonctions, la Guerre ou l’Amour ?

Jusque là, tout va presque bien. On s’amuse d’une actualisation qui fait son effet, sans plus. Mais les choses se gâtent avec la Première entrée. Le déséquilibre de la distribution vocale, à peine sensible dans le Prologue, s’affirme plus dans ce Turc généreux, où le ténor Kenneth Tarver ne sert pas au mieux Valère de ses curieuses instabilités. Si Judith van Wanroij est une Émilie bien en voix et de belle allure, l’Osman de Vittorio Prato, pour s’avérer ferme baryton, accuse d’abord une émission qui hésite sur son placement. Mais c’est surtout la mise en scène qui déçoit. Si volontiers on cautionne la critique de notre société contemporaine (si tant est que le spectateur ait à cautionner un parti-pris de mise en scène, d’ailleurs), on goûte moins la caricature, les raccourcis, en un mot la réduction simpliste qu’elle arbore, et moins encore une certaine façon de « faire de l’œil » au public par l’usage de références à l’actualité.

L’option s’inscrit plus solidement dans ce travers avec Les Incas du Pérou et ses champs de coca… Fort heureusement, dans l’exaspération toujours croissante d’une scène poussée jusqu’au delà d’un affranchissement qui se tiendrait encore, les voix font merveille. C’est à la musique et à elle seule qu’on s’en remet, magnifiquement servie par Nathan Berg, Huascar de grande classe, par Cyril Auvity, Carlos délicatement nuancé à la présence convaincante, et par Helène Guilmette, toujours, Phani idéale. On la retrouve dans l’Entrée suivante, Les Fleurs, en parfaite Fatime dont on écoute désormais les déboires en s’efforçant de s’attacher moins à la scène. Kenneth Tarver paraît vocalement plus à son aise en Tacmas, ce tableau restant dominée par l’intervention généreusement projetée de Judith van Wanroij en Atalide. Ne manquons cependant pas de déplorer la caricature outrée d’Orient mitonnée par Laura Scozzi que le recours à des gags assez lourds enfonce plus sûrement encore dans un humour suffisamment sot pour faire oublier le sujet. Des quatre histoires celle-ci est indéniablement la plus maltraitée. L’ultime Entrée est propulsée dans la région des Grands Lacs dont Les Sauvages défendent la forêt contre les promoteurs immobiliers. Ambiance Seventies oblige, confrontée à l’envahissement de panneaux publicitaires qui clignotent, au rentable idéal d’un confort tant séduisant qu’inutile, à consommer sur place, etc. La démarche n’est certes pas inintéressante, loin s’en faut – partant que Les Indes galantes est tout sauf un ouvrage frivole –, mais semble finalement peu assumée puisque une pesante légèreté de ton sans cesse la contrarie par un surpeuplement d’effets. Tournons-nous donc vers la musique – autrement dit noyons l’image dans le son – avec Cyril Auvity en Damon et Thomas Dolié, baryton richement coloré, en Adario fort attachant.

La fosse est incontestablement la grande triomphatrice. Sous la battue tonique et éclairée de Christophe Rousset, l’interprétation bénéficie d’un équilibre pupitral redoutablement minutieux, d’un tissage énergique et toutefois jamais trop contrasté. C’est à la fois rigoureux et vigoureux, toujours sainement conduit.

BB