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Chroniques
les compositeurs allemands à l'honneur
œuvres de Karlheinz Stockhausen et de Wolfgang Rihm
Le très dynamique festival sacrum+profanum consacre sa sixième édition aux compositeurs allemands. Ainsi le public polonais entendra-t-il vingt-et-une pièces conçues récemment de l’autre côté de sa frontière occidentale, et découvrira-t-il rien moins que huit premières sur son sol. Tout au long d’une semaine de concerts est proposé aux mélomanes un parcours raisonné d’une pertinence rare, à travers des œuvres conçues par Kurt Weil, Hans Werner Henze, Karlheinz Stockhausen, Helmut Lachenmann, Heiner Goebbels et Wolfgang Rihm entre 1933 et 2007, dont se confronteront les esthétiques.
En parfait accord avec ce beau projet, sacrum+profanum investit des lieux dont la destination n’est pas d’accueillir des concerts. Aussi sommes-nous ce soir de deux rendez-vous : le premier au Musée de l’Ingénierie Urbaine, aménagé dans les anciens entrepôts de tramway, où sonne la musique de Rihm, le second dans l’Usine Oskar Schindler où opèrent les rituels de Stockhausen.
De Wolfgang Rihm, nous entendons Chiffre IV, une œuvre des années quatre-vingt qui alterne des périodes désertiques, à peine jouées, et des déflagrations et rythmes plus soutenus. À ce jeu de contrastes, la nudité se dresse bientôt dans l’universel, comme semblent le dire les quelques incises sèches dans la résonnance pédalisée du piano. Trois solistes de l’ensemble musikFabrik (clarinette basse, violoncelle et piano) s’y montrent soigneusement précis, effectuant de savants dosages d’intensité, comme pour mieux opposer le moelleux de certaines phrases à l’abrupt des attaques. Le minimalisme particulier de l’écriture de Rihm, tout au long du cycle des Chiffre, se tend ici au plus fort, laissant alors percevoir le silence interstitiel comme agressif, un silence devenu geste lui-même.
Créée la veille à Berlin, la troisième version du Concert Séraphin, inspiré d’Antonin Artaud, comme l’opéra de chambre éponyme, convoque violon, alto, violoncelle, contrebasse, flûte, flûte en sol, hautbois, trompette, trombone, deux corps, harpe, deux pianos et percussions. L’effervescence percussive de son début va s’étiolant vers des îlots bientôt concentrés sur un motif répété par les pianos, jouant sur les attaques et les proliférations induites. D’une « vitalité désespérée », comme l’eut dit le Frioulan, l’hyper-expressivité de la partition se réalise dans le retour à une jubilation quasi hypnotique, ponctuée par un grand solo de trompette. À la tête de musikFabrik, Emilio Pomarico signe une interprétation rigoureuse.
Dixième heure du vaste cycle Klang malheureusement inachevé, Glanz de Karlheinz Stockhausen est actuellement créé en tournée par les ensembles Asko et Schönberg, désormais associés. Écrite en 2007, il s’agit de l’œuvre la plus récente parmi celles programmées par le festival cracovien. Un basson, une clarinette et un violon, situés autour d’une pyramide lumineuse, ouvre cette Brillance (traduction du titre allemand) par un Gloria scandé par la voix des instrumentistes. Suit un long trio lyrique où le rôle de leader s’échange tour à tour dans un rite étrange, un de ces « théâtres énergétiques » auxquels Stockhausen aimait recourir. Après plusieurs dialogues surviennent un trombone et une trompette sur les gradins, entraînant une nouvelle rotation des musiciens vers un calme choral de cuivres. Un tuba entraîne plus tard un nouveau cycle dans cet univers tout de rotation : celle, physique, des solistes sur eux-mêmes ; celle, géographique, de leurs emplacements échangés sur la scène ; celle, écrite, de longues périodes en trilles. L’absence de percussion fige le final dans le climat serein et surprenant d’une sérénade mozartienne.
Des quatre tableaux composant Mercredi, l’une des sept journées de Licht, l’immense opéra de Stockhausen, nous découvrons Orchester-Finalisten (1995-96). Treize instrumentistes s’installent dans un environnement sonore où leur propre son surgit furtivement d’un halo électronique. Après un bref tutti suivi d’une section de haut-parleurs s’impose la mixité d’un défilé des solistes s’exerçant à des cellules virtuoses. L’électronique est omniprésente, mariant des réminiscences instrumentales à divers chuchotements, jusqu’au surgissement d’un gong qui terrasse le contrebassiste. Vous l’avez deviné : le théâtre est de la fête, jusqu’à la complainte déchirante d’un violon presque caricatural et la descente des gradins par un corniste. Le public français pourra découvrir ces deux œuvres les 14 et 15 novembre, à l’Opéra Bastille, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.
BB