Chroniques

par bertrand bolognesi

les chemins du quatuor
Diotima joue Carter, Ligeti, Webern et Kyburz

Musica / Auditorium France3 Alsace, Strasbourg
- 27 septembre 2003

Largement fêté par cette édition du festival, Hanspeter Kyburz a imaginé un programme pour le Quatuor Diotima, en vue de la création de son Quatuor, commandé par Musica et le Festival de Berlin. On le sait, écrire un quatuor jamais ne fut facile ; il semblerait que les questions que s’est posées le compositeur suisse ne lui aient guère mâché le travail. Aussi, à quelques semaines de la création, prévue cet après-midi, il n’envoyait qu’une dizaine de feuillets d’esquisses à ses interprètes. Le concert s’est donc ouvert sur trois minutes de fragments d’une œuvre à venir, où l’on constate la prépondérance de l’alto, posant quelques notes dans une sonorité assez énigmatique, jusqu’à ébaucher une mélodie qui croise les traits furtifs des autres protagonistes. L’auteur a tenté d’expliquer quelques éléments de son travail, mais il n’est jamais simple de faire participer l’auditeur à un chantier encore ouvert. À suivre...

Le concert proprement dit débute donc avec les Sechs Bagatellen Op.9 que Webern écrivit en 1912, et créées par la Quatuor Amar aux Donaueschinger Musiktagen de 1919. On apprécie la grande fidélité de l’interprétation deDiotima. Construit comme une suite d’aphorismes, cet opus profite ici d’une précision exemplaire, les changements de tempi tout comme les intervalles souvent problématiques se trouvant parfaitement maîtrisés. La sonorité est minutieusement choisie, ne se contentant pas des seuls contrastes, toujours spectaculaires, mais construisant un véritable univers. Le lyrisme de la quatrième bagatelle, par exemple (Sehr langsam), est amené dans une sorte de sensualité bienvenue, assez inattendue dans cette musique dont on ne vit trop souvent que la seule radicalité. Fort heureusement, nous pouvons aujourd’hui entendre des versions plus souples qui rappellent que Webern lui-même se disait héritier des romantiques.

Ces qualités, nous les retrouvions avec plaisir dans le Quatuor à cordes n°2 de Ligeti. Le compositeur écrivit deux fois pour cette formation, d’abord en Hongrie au début des années cinquante, en achevant une sorte de vaste variation où l’on a pu voir le prolongement des préoccupations rythmiques de Bartók, intitulée Métamorphoses nocturnes, puis une quinzaine d’années plus tard, avec l’écriture de ce n°2 qui traduit à sa manière les interrogations formelles côtoyées après son passage à l’ouest. Pas de rupture fondamentale entre les deux, cependant, le plus jeune reprenant volontiers à son compte certaines idées de l’aîné, et respectant de même l’influence de Bartók. L’œuvre fait aujourd’hui son entrée au répertoire de Diotima, avec succès. La tension de l’Allegro nervoso se trouve magistralement entretenue, mais encore un peu précautionneuse, contrairement à l’affranchissement du Presto furioso ou de l’Allegro (les deux derniers mouvements). On admire la précision du troisième, fidèle à son titre, et cette sorte d’effacement indispensable au Sostenuto. La lecture du Second Quatuor de Ligeticapture le public en une écoute des plus concentrées.

La pianiste Noriko Kawai donne ensuite la quinzième Étude (de Ligeti, toujours), White on White (qui ouvre le Livre III), dans une sonorité fort travaillée. La Coloana infinita (Étude n°14, Livre II) s’avère uniquement nerveuse, comme un peu étriquée. Diotima prend congé avec le Quintette pour piano et quatuor d’Elliott Carter (1997), opposant systématiquement l’expressivité exacerbée des cordes à la raide mécanique du piano, dans un développement sériel d’une vue perçue comme assez courte – mais peut-être cette impression provient-elle d’une raideur interprétative.

BB