Chroniques

par michèle tosi

Les aventures du roi Pausole
opérette d’Arthur Honegger

Opéra Comique, Paris
- 27 janvier 2004
Les aventures du roi Pausole, opérette d’Honegger à l'Opéra Comique (Paris)
© péniche opéra

De la part d’un compositeur porté, selon ses propres termes, vers la musique austère et grave, la frivolité et le libertinage des Aventures du roi Pausole ont de quoi étonner. Écrite d’une main légère par Honegger en 1930, la même année que sa Symphonie n°1, l’opérette sera pourtant son plus grand succès scénique : près de cinq cents représentations à Paris et en province. Le livret savoureux et spirituel d’Albert Willemetz (l’auteur deFifi) n’est pas pour rien dans la réussite de l’ouvrage tiré d’un roman de Pierre Louÿs, ami de Debussy et érotomane distingué, affirment ses biographes… ceci explique cela. Bien avant notre Mai Soixante-huit, les habitants de Triphène – un autre Zanzibar –persuadent que faire l’amour est beaucoup plus sain que faire la guerre. Et son roi de déclarer l’amour « libre, laïque et obligatoire ». Perpétuant les us et coutumes de ses prédécesseurs, Pausole, fort de ses trois cent soixante-cinq épouses (et plus en cas d’année bissextile), s’efforce de faire régner l’harmonie dans son harem et la bonne entente de toute sa compagnie selon un précepte érigé en code civil :
« Ne nuis pas aux autres.
Cela bien compris, fais ce qu’il te plait ».
Mais le roi a une fille, la blanche Aline, qui l’oblige à modifier ses plans…

La nouvelle production présentée par l’Opéra Comique du 23 au 31 Janvier redonnera le sourire aux mélomanes trop sérieux. Certes, les trois actes manquent un peu de concision, surtout le médian qui fait un peu trop attendre son final. Mais tout au long de l’intrigue la mise en scène de Mireille Laroche réserve des instants de pur bonheur que l’on aurait tort de ne savourer jusqu’au bout. À l’Acte I, la tendre ariette d’Aline, dont le cœur pur s’est immédiatement mis à battre devant Mirabelle, danseuse travestie en prince charmant, suscite l’étonnante exhibition de l’acrobate Anne Joubinaux évoquant, sur sa corde lisse, les figures allégoriques de l’érotisme. Les joyeux préceptes de vie Triphèniens ne pouvaient qu’exalter la volupté des corps nus : celui de la nymphe, suivant Pausole comme son ombre, incarne les heures du désir. Celui de l’homme, aux postures sculpturales, est le mâle initiateur du troisième acte pour une Aline qui toujours a préféré les baisers de la laitière (Giglio déguisé en femme) aux élans passionnés du travesti !

L’espace à géométrie variable conçu par Daniel Buren – arborant jusque sur le rideau de scène ses rayures récurrentes – modifie en un clin d’œil les perspectives scéniques au fil du propos. Des volumes escamotables, des plateaux qui se soulèvent découvrant le bain chaud de Pausole, des trouvailles aussi amusantes qu’efficaces, aux structures légères et colorées, viennent à tout moment souligner le comique des situations. Un défi pour le plasticien qui, pour l’occasion, doit accepter la position inamovible du spectateur.

Entouré de ses sept femmes de la semaine, le roi Pausole mène son monde avec un entrain et une bonne humeur très communicatifs. Saluons les qualités tant vocales que théâtrales de Lionel Peintre qui, sans presque jamais quitter la scène durant les trois heures de la représentation, conserve sa verve inimitable, quoiqu’il arrive. Dans le rôle d’Aline, Cassandre Berton possède la fraîcheur vocale et la candeur appropriée. Nageant entre deux eaux, Françoise Masset glisse astucieusement d’un personnage à l’autre avec une souplesse étonnante. Yves Coudray campe un Giglio très coquin qui tire habilement son épingle du jeu. Sans oublier Taxis, Yves Crapez, le parfait emmerdeur aux allures de Monostatos qui fait tache dans cette communauté réclamant instamment « qu’on lui foute la paix ».

La musique accompagne les ébats amoureux sur des accents jazzy, d’un saxophone emblématique et de son petit côté fleur bleue. Discrète mais diablement rythmée, elle est conduite avec beaucoup d’allant et de souplesse par Sébastien Rouland, jeune chef déjà rompu au style de l’opérette, puisqu’il reçoit très tôt l’enseignement de Marc Minkowski. Il ne parvient pourtant pas à obtenir de l’orchestre une palette aux couleurs pures qu’on aurait souhaitées aussi jaillissantes que les bleus, verts et rouges du plateau.

MT