Chroniques

par david verdier

Leif Ove Andsnes, l’Orchestre de Paris et Paavo Järvi
IIe Concerto de Brahms, VIIe Symphonie de Dvořák

Salle Pleyel, Paris
- 25 mai 2011
Felix Broede photographie le pianiste norvégien Leif Ove Andsnes
© felix broede

On peut trouver une certaine ambiguïté à l'idée de réunir les noms de Brahms et Dvořák au sein d'un même programme. La proximité des styles fait apparaître par contraste un amalgame d'allusions croisées, à mi-chemin entre révérences et divergences. La polarité du concert serait à chercher du côté de la notion de symphonie – élargie au domaine étroit du concerto pour Brahms et transcendant l'atavisme nationaliste slave chez Dvořák.

Par-delà la prouesse technique, le Concerto pour piano et orchestre en si bémol majeur Op.83 n°2 de Brahms peut être considéré comme une progression en direction du siècle suivant et la dissolution progressive du rôle du soliste au sein de l'ensemble orchestral. Sous cet angle, l'interprétation de Paavo Järvi ne laisse aucune place au doute. Sa conduite est exemplaire, tant en ce qui concerne la liberté de ton que du simple plaisir à insérer le discours soliste dans un écrin également proportionné. Une fois passée l'entrée périlleuse du cor, on ne peut que se féliciter de la belle ampleur de son de l'Orchestre de Paris. Les élans lyriques se divisent en nappes et vagues de notes, tout juste perturbées par les délicats changements de registres des cuivres – l'écriture, il est vrai, les expose d'une manière invraisemblable).

De prime abord, le jeu de Leif Ove Andsnes est marqué par la nervosité ; les phrases ont des contours anguleux, des arêtes à vif. La minéralité du son accentue une netteté un peu dure des attaques, même si, de temps en temps, il déroule parfaitement les oppositions de registres par de beaux déplacements de mains d'une extrémité du clavier à une autre. Sur la longueur, le piano manque de grave – un Bösendorfer eut été mieux adapté à l'acoustique de la salle (sans doute pas aux doigts de Leif Ove Andsnes). Dans l'Allegro appassionato, on regrette qu'il ne lâche pas davantage la bride (avec un tel tapis de notes à l'orchestre !). Le court passage fugué est laborieux, Järvi marque le temps avec le talon, comme pour se dégager du jeu monocorde et monotone du soliste. L'Andante est sans doute le moment où l'équilibre est atteint, dans la mesure où chef et pianiste prennent le temps de s'écouter, un peu comme on apprécierait la couleur d'un vin avant d'y goûter. Passons sur un tempo bien pressé et un violoncelle solo un peu gêné aux entournures… Les interventions de la clarinette et du hautbois créent un magnifique dialogue tout en suspension. Paavo Järvi laisse respirer les grandes masses, sans trop souligner les effets. Dans l'Allegretto grazioso, ce qui se passe à l'orchestre ne se passe décidément pas au piano. L'inspiration n'étant pas perméable, chacun se tourne le dos, entre frisottis à la main droite et babil routinier des réponses de la petite harmonie. Andsnes y démontre une technique imperturbable et une esthétique fort lisse. En bis, une triste deuxième Romance de Schumann vient confirmer cette absence de poésie : conduite des voi(e)x rectiligne, monodynamique et sans arrière-fonds.

La Symphonie en ré mineur Op.70 n°7 d'Antonín Dvořák est quasi-contemporaine, à un an près, de celle d'Anton Bruckner (1883). La proximité n'est pas simplement chronologique, elle tient également à certaines similitudes qui traduisent une distance avec Brahms. Les contours majestueux du premier mouvement ne laissent aucun doute à ce sujet, même si le traitement thématique est différent. Contrairement à la première partie, Paavo Järvi libère une forme de lyrisme tellurique qui évoque Sibelius à certains moments. À quelques décalages près, la tension du climat est tenue de bout en bout du mouvement. L'agencement des réponses entre bois et cordes fait du Poco adagio le sommet de l'œuvre, les clarinettes se couvrent de gloire à cette occasion. Le Scherzo et le Finale (Allegro) ne sont malheureusement pas de la même eau. Toute la fin du concert est marquée par une battue assez prosaïque et sans inspiration.

DV