Chroniques

par bertrand bolognesi

Le vin herbé
oratorio de Frank Martin

Opéra national de Lyon / Studio 24, Villeurbanne
- 24 janvier 2009
Sinéad Mulhern et Finnur Bjarnasson dans Le vin herbé (Frank Martin) à Lyon
© michel cavalca

Fidèle à sa récente tradition de réunir plusieurs ouvrages joués en alternance dans un festival thématique, l’Opéra national de Lyon invite le public à découvrir trois raretés absolues – et c’est une autre excellente habitude de cette maison que de quitter les sentiers battus. Ainsi la programmation Héros perdus présente-t-elle In the Penal Colony, opéra de chambre de Glass d’après Kafka [lire notre chronique du 2 février 2009], Le Joueur, opéra en quatre actes de Prokofiev d’après Dostoïevski [lire notre chronique du 25 janvier 2009], et Le Vin herbé, oratorio profane de Frank Martin d’après Bédier.

Au Studio 24, à Villeurbanne, les gradins se font face. Au centre de l’espace : une structure circulaire qui abrite en son sein une dizaine d’instrumentistes et autant de chanteurs. Peu à peu se définiront les rôles, les personnages quitteront ce giron strictement musical pour naître au théâtre, sur la passerelle imaginée par Wolfgang Gussmann. D’une délicate sensibilité, la mise en scène de Willy Decker, conçue pour la Ruhr Triennale, décline un symbolisme discret qu’une sobriété choisie place dans la proximité de la mer et de la guerre. Des traits de craie blanchissent le bois noir de la scène comme autant de cristaux de sel. C’est encore la craie qui donnera son relief à la sphère d’espace et de temps où se cristallise l’amour coupable des amants. La craie, toujours, qui inscrit ces signes à déchiffrer, ceux de la magie du vin herbé, ceux des textes anciens dont le médiéviste Joseph Bédier livra les secrets. Iseut et Tristan, la barque et le glaive ; Tristan et Iseut, la croix et le tombeau.

À mi-chemin entre mystère, passion et tragédie antique, l’oratorio de Martin fut créé sur la scène salzbourgeoise en 1948. Il ne fit pas grande carrière. Sans doute l’esthétique néoclassique et le traitement volontairement simple optés par le compositeur suisse n’y sont-ils pas pour rien. Pour le connaître au disque, on en découvre l’impact scénique avec d’autant plus de surprise. Occupant un dispositif intelligent qui fait parler chaque geste, le spectacle concentre en son intimité une perception bientôt fascinée que vient reposer l’émotion. Attentif, précis et parfaitement intégré à cette sorte de célébration qui nous absorbe, Friedemann Layer soutient soigneusement les voix en tissant la fine toile dramatique à la tête d’un ensemble formé pour l’occasion par des musiciens du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon et de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon.

Une distribution idéale sert magnifiquement l’ouvrage, tant pour la prestation vocale que pour l’investissement scénique, minutieusement dirigé. S’y remarquent principalement le grain franc et profond de la basse Frank van Hove (Hoël), l’autorité digne du chant d’Otto Katzameier (Marc), le timbre infiniment coloré du mezzo-soprano Ursula Hesse von den Steinen (Iseut aux Blanches mains), la précieuse clarté d’émission du ténor Michael Smallwood (Kaherdin) et la généreuse présence de Susanne Blattert (Mère).

Iseut touchante, Sinéad Mulhern offre une pâte vocale de taille à notre écoute, en un chant qu’on aimerait peut-être plus nuancé. Le Tristan de Finnur Bjarnasson emporte les suffrages : la voix s’accroche parfaitement où l’enthousiasme juvénile se laisse souvent entendre, la respiration de la lente prosodie à laquelle l’œuvre a recours ajoute à son inspiration, et le physique de géant fragile est en totale adéquation avec la légende et la vision que Decker en construit. Ainsi de sa tête morte à la chevelure comme oubliée dépassant de la barque, irrésistible évocation de L’éternel retour. Enfin – et surtout ! -, le jeune soprano Marie-Adeline Henry incarne une Branghien remarquable. La couleur est riche, la projection facile, le phrasé souple et le sens du théâtre évident. Voilà une jeune artiste qu’on aura beaucoup de plaisir à suivre attentivement.

Vous l’aurez compris : cet Vin herbé est une réussite.

BB