Chroniques

par laurent bergnach

Le vase de parfums
opéra de Suzanne Giraud

Théâtre de la Ville, Paris
- 27 octobre 2004
Olivier Py signe le livret et la mise en scène d'un opéra de Suzanne Giraud
© alain fonteray

Cette nuit n’est pas une nuit comme les autres ; c’est celle du Vendredi Saint. Le Christ est au tombeau et Marie-Madeleine au chevet de sa sœur Marthe mourante. Pour souligner la particularité du moment, l’opéra en treize scènes s’ouvre sur un prélude instrumental mis en espace : de petits groupes de musiciens se déplacent autour du public, dans les escaliers, en fond de salle, chacun prenant la place du précédent. Un accord tenu de trompettes claironnantes finit par nous jeter dans l’arène, tandis que les musiciens regagnent les trois galeries reliées par des échelles, visibles en surplomb de la scène. Celle-ci comporte un mur et un sol de planches sombres, un lit métallique, un lavabo, un miroir. Durant une heure et demie, nous vivrons l’espoir et les refus d’une femme, semblable en cela aux grandes héroïnes de théâtre, mais avec la certitude cette fois, pour elle et pour nous, que la récompense est au bout de l’épreuve – « je t’aimais et tu es venu, je t’aimerai et tu me reviendras ». Marie-Madeleine quitte la scène pour courir au tombeau ; elle est la première à revoir le Christ vivant.

Autour de Sandrine Sutter, un petit monde évolue entre ombre et lumière. Jean-Paul Bonnevalle est un Ange protecteur, voix de contre-ténor comme un double inversé de cette Femme libre au timbre grave et terrestre. Sébastien Lagrave, l’Homme du Siècle, est un tentateur qui cherche à semer le doute dans les esprits confiants. En arrachant des planches du sol, ce Lucifer de rouge grimé met à nu un monde souterrain duquel tirer ce Mendiant qu’il paye pour chanter sa triste condition. La basse Stephan Imboden s’exécute, à la fois preuve vivante que la pauvreté sera toujours de ce monde et allégorie – homme démuni qu’il est – de la misère dans laquelle tombe l’être dénué de foi, l’homme sans amour. Mary Saint-Palais, enfin, est La Mourante, soprano dont les aigus sollicités nous révèlent les tourments d’une âme à l’agonie, lointaine réminiscence de la Grande Prieure de Bernanos.

Bravo à chacun pour le chant, la diction et la crédibilité apportée à son personnage, donnant vie à des duos équilibrés ou au trio des hommes qui incarne l’Esprit, à la fin de l’œuvre. Félicitons également l’Ensemble Orchestral Contemporain, sous la direction de son créateur Daniel Kawka, qui connaît bien le répertoire d’aujourd’hui et le domaine de l’opéra.

Travail de quatorze mois, la partition réclame un instrumentarium calqué sur celui de Händel pour le Messie, soit deux hautbois, deux bassons, deux trompettes, un percussionniste, un orgue positif (symboliquement présent au centre des trois étages) et douze cordes. Très familière de ces dernières, Suzanne Giraud leur offre une place de choix pour le lyrisme qu’elle entend servir. Si elle utilise les ressources baroques d’un tel ensemble d’instruments (la basse continue, le contrepoint, le recitativo cantando), elle revendique la contemporanéité de sa musique (harmonie en micro-intervalles), ni décorative, ni fin en soi, qui se doit de faire un avec le texte.

« J’ai constaté à quel point le livret pouvait gâter tout un opéra, confie Suzanne Giraud au magazine Musica Falsa. Pour Le vase de parfums, je me suis attachée à aller à la rencontre d’un auteur ». Olivier Py fut choisi, « homme de théâtre accompli, un torrent d’écriture et de poésie, ancien étudiant en théologie, et complètement hanté par ce personnage » comme l’était la compositrice à l’origine du synopsis sur cette compagne du Christ.

Avant de signer une mise en scène efficace, Py livre un texte sec et concis, idéal pour la mise en musique – d’autant qu’il avait pour consigne d’éviter les mots de plus de trois syllabes… La mort, le doute, la parole, le sang, le commerce, la musique sont au cœur du propos, posant des questions sans jamais forcer le mystère à se révéler. Et l’amour, bien sûr, qui parcourt tout l’opéra, tend à se répandre et cherche à envahir, à l’image d’un treizième apôtre qui s’empresse de porter la bonne parole, comme il le fit ce soir.

LB