Chroniques

par laurent bergnach

Le roi Carotte
opérette de Jacques Offenbach

Théâtre Silvia Monfort, Paris
- 18 mars 2008
Le roi Carotte, opérette de Jacques Offenbach
© nelly blaya

Depuis plus de vingt-cinq ans, la troupe d'Opéra Éclaté sillonne les routes. C'est avec une quarantaine de représentations se succédant sans relâche du 11 mars au 20 avril prochain, et trois spectacles maniant humour et dérision, qu'elle pose aujourd'hui ses valises à Paris : Le Roi Carotte (opérette parodique – et féerique), Dédé (comédie musicale débridée) et Cabaret interlope (revue « décalée »). Qui est ce Roi Carotte ? Un fantoche monté sur le trône grâce aux sortilèges de la sorcière Coloquinte, laquelle veut se venger du souverain actuel, Fridolin XXIV. Ce dernier, qui est en train d'organiser ses noces avec Cunégonde, une riche héritière sensée sauver les finances du royaume, est contraint à l'exil – « la meilleure école des rois », comme il est dit avec ironie. Accompagné de quelques fidèles – la douce Rosée du soir, le flic-fakir Pipertrunck, le génie Robin-Luron, etc. –, Fridolin va devoir remonter le temps (Pompéi au temps de sa splendeur) et s'éloigner des hommes (l'épisode chez les fourmis) pour mieux reconquérir sa couronne.

Son librettiste Victorien Sardou ayant promis au Théâtre de la Gaîté une parabole politique sur les dangers de la libéralisation de l'Empire, Jacques Offenbach suit le mouvement avec d'autant plus de verve qu'il est devenu un bouc émissaire bien utile à l'occasion d'une guerre catastrophique contre la Prusse. Déguisée en féerie lyrique, cette charge contre Napoléon III est crée le 15 janvier 1872, avec un certain succès. À l'époque de Karl Lagerfeld et de la tecktonik, le livret s'adapte au goût du jour avec des allusions à Paris Match et au bling-bling. Car comment résister à ce parallèle entre vaniteux du pouvoir, lorsqu'un chef d'état donne un visage à Big Brother (M. Princen, désigné pour surveiller les rumeurs dérangeantes sur le web) et fait ainsi écho aux muselières chantées voilà plus d'un siècle ?

Énergique sans être agitée, la mise en scène d'Olivier Desbordes s'avère efficace – malgré quelques concessions à la caresse grivoise du vaudeville. C'est un théâtre de tréteaux où défilent des personnages bien caractérisés, dans des costumes variés et très soignés – Jean-Michel Angays, Stéphane Lavergne. Jouissant d'une diction et d'un investissement appréciables, les meilleurs éléments de la compagnie sont mis en avant : Éric Vignau (Fridolin) au chant large, chaleureux et nuancé ; la gouailleuse Anne Barbier (Cunégonde) ; Agnès Bove (Robin-Luron), tout en souplesse malgré un timbre assez éraillé ; Jean-Claude Sarragosse (Pipertrunck) dont la voix de basse ne manque pas d'impact et de rondeur ; etc. Du piano dissimulé sous la plus haute estrade, Dominique Trottein dirige ses musiciens dans une alternance des scies habituelles du compositeur avec des passages plus délicats, que la présence d'un octuor (orchestration de Stéphane Pelegri) rend tout à fait charmants.

LB