Chroniques

par françois cavaillès

le premier baroque italien
Léa Desandre et Thomas Dunford

Philippe Maillard Productions / Salle Cortot, Paris
- 7 mars 2018
Accompagnée au luth, Léa Desandre chante le premier baroque italien
© dr

Après avoir emporté une Victoire de la musique classique catégorie Révélations artistes lyriques il y a un an, Léa Desandre revient aujourd'hui à Paris, après un passage moins obligé que réussi à l'international. Reçue dans une ambiance amicale à la Salle Cortot, le jeune mezzo franco-italien irradie de bonheur aux côtés du luthiste Thomas Dunford, son partenaire à la ville comme à la scène. Si dolce è'l tormento (Si doux est le tourment) : c'est même par cette mélodie de Monteverdi, si heureuse aux cœurs chastes, qu'est parfaitement lancé le programme d'une soirée de tous les amours, à saveur italienne baroque.

Avec L'Eraclito amoroso de Barbara Strozzi (1619-1677), le chant gagne en verve puis, avec l'archiluth, en délicatesse dès lors que « la fede è morta » (la fidélité est morte). Élucider les mystères de sentiments passionnés ou torturés semble le thème nocturne dévoilé par les mots détendus de Thomas Dunford à l'assistance, en introduisant la petite série de toccatas de Johann Hieronymus Kapsberger (1580-1651), servie en guise d'interludes. Les premières notes en font le superbe effet mélancolique de pénétrer un ciel nuageux, à travers les sensations cristallines, puis ténébreuses offertes par le virtuose. De Kapsberger provient aussi un possible sommet lyrique, atteint par la cantatrice comme possédée, en l'étrange berceuse presque suicidaire Figlio dormi (1619).

Le récital multiplie les virages en maîtrisant notamment l'œuvre de Tarquinio Merula (1595-1665), de la sagesse religieuse (Canzone spirituela sopra la nina nana) jusqu'au comble de l'émotion baroque (Folle è ben che si crede). La voix de Léa Desandre s'aventure aussi bien dans l'emportement plus théâtral, et avec quelle assurance du timbre dans les vocalises, chez Frescobaldi (Cosi mi disprezzate et Se l'aura spira). L'émission atteint son meilleur, d'un souffle merveilleux, pour Ombra mai fu tiré du Serse d’Händel (1638). De l'opéra Rinaldo (1711), du même compositeur, la prière Lascia ch'io pianga s'illumine surtout dans la révélation finale, « sol per pietà » (par simple pitié), de même qu'au terme du voyage musical, par l'enjoué Quel sguardo sdegnosetto de Monteverdi, l'ultime impression lyrique vaut tous les vers précédents, cet air de méfiance pour souhaiter « ferischino quei guardi, ma sanimi quel riso » (que me blessent ces regards, mais que me guérisse ce sourire !).

En bis, bien cordialement, deux airs de cour français claquent en bulles de champagne ! L'expressivité vocale est souveraine en jouant sur les tons, coquin et autres, pour Auprès du feu on fait l'amour de Marc-Antoine Charpentier. Outre la légèreté plutôt moqueuse, dans Ma bergère est tendre et fidèle de Michel Lambert (1610-1696), se pose la grave question primordiale de chanter l'amour : est-ce bien possible ? Le couple s'entend pour le signifier en toute liberté, humilité et générosité, de manière à seulement plaire ou, mieux encore, à faire aimer davantage. Finalement, et à la demande du public, revoici Ombra mai fu, de retour en tout dernier lieu, filant comme un train de marchandises dans la nuit, souvenir amoureux en pure perte.

FC