Chroniques

par laurent bergnach

Le pacte de pierre
conte musical de Raoul Lay

Théâtre du Lierre, Paris
- 17 mai 2006
Le pacte de pierre, conte musical de Raoul Lay
© dr

L'an passé, les trente ans de la disparition de Pier Paolo Pasolini n'ont pas suscité d'hommages abondants dans notre pays. La reprise parisienne du Pacte de Pierre par l'ensemble Télémaque, avec cinq représentations, s'avère donc un joyeux miracle auquel on pouvait facilement assister. Ce conte musical et métaphysique – dont le dénouement expliquera le titre – s'inspire du Premier conte sur le Pouvoir, un des chapitres de Pétrole, l'ouvrage posthume de l'écrivain et cinéaste, publié à l'état de manuscrit et dont la traduction nous a été accessible en 1995 (Gallimard). On y retrouve un argument religieux, une (auto) dérision de l'intellectuel déjà rencontrés dans la comédie Uccellacci e Uccellini (1966).

Devant trois photos géantes de Pasolini qui créent une coulisse en fond de scène, les artistes déambulent à mesure que la salle se remplit. Assis sur une chaise, un mannequin sera bientôt animé, puis allongé pour nous raconter sa vision lors d'une nuit d'insomnie – dans une langue volontairement pauvre pour être universelle. L'homme est un intellectuel de trente-cinq ans, peu fier du passé fasciste de son père et cherchant à se faire une position sociale dans la capitale. Une force obscure apparaît pour lui demander des comptes sur le sens de sa vie et déclarer : « le but de ta vie est le pouvoir ». Après avoir imaginé l'élévation par l'aura littéraire, patronale ou politique, le Diable – puisque c'est de lui qu'il s'agit – finit par tenter notre provincial avec le désir de sainteté. S'imposant la chasteté entre autres choses, l'homme s'attire le respect puis la vénération de la région, d'autant qu'il présente deux longs stigmates sanglants. Cette fois, c'est Dieu qui se présente à lui pour le renseigner sur la petite plaisanterie qu'il vient de lui faire. Mais un coup d'œil interdit révèle à l'humain le visage déjà connu de cette force lumineuse.

Outre une mise en scène vivante et élégante de Catherine Marnas, la principale réussite du spectacle est de recréer une Italie d'après-guerre. Aux robes grises des trois musiciennes, aux chemises blanches et cravates sombres des hommes s'ajoute la musique de Raoul Lay qui puise dans le concerto baroque, la citation lyrique (Sempre libera) et la complainte (Io sono un bel ragazzo). Comme dans Suite de la jeune fille aux mains d'argent, le compositeur et chef d'orchestre aime associer les cordes aux interventions du Malin, et sollicite énormément les percussions. Les musiciens forment un petit chœur dramatique qui commente l'action. Conteurs principaux de cette œuvre métissée, Franck Manzoni, au ton de confidence entretenu, a pour associé le contreténor Alain Aubin que la souplesse, la chaleur, la couleur vocale, ainsi que l'aisance dramatique rendent précieux et attachant.

LB