Chroniques

par richard letawe

Le nozze di Figaro | Les noces de Figaro
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Grand Théâtre, Luxembourg
- 14 octobre 2007
le Grand Théâtre de Luxembourg joue Le nozze di Figaro de Mozart
© grand théâtre de Luxembourg

Cette production des Noces de Figaro fut créée, sans grand succès, cet été au Festival d’Aix-en-Provence. La mise en scène fut généralement jugée banale, la distribution était faible et en fosse œuvrait le surestimé Daniel Harding, médiocre mozartien s’il en est. Pour trois fois moins cher qu’à Aix, le public du Grand Théâtre de Luxembourg peut entendre, ce dimanche, un plateau de grande qualité, un excellent orchestre et un vrai chef. Conséquence directe : enfin le succès !

C’est la cinquième mise en scène mozartienne de Vincent Boussard. Le résultat ne surprend guère ceux qui ont vu ses précédentes productions, Il re pastore et Così fan tutte à La Monnaie par exemple, car une même équipe est à l’œuvre, comprenant Vincent Lemaire aux décors et Christian Lacroix aux costumes.

Composé de hauts murs gris pâle, de grandes portes et d’une fenêtre, le décor, froid et nu, restera pratiquement inchangé tout du long. Un peu de variété n’aurait pas nui. Même minimalisme pour les accessoires : successivement un matelas, un fauteuil, une paire de chaussures, un fusil, une épingle. Les costumes sont somptueux, un peu trop peut-être (même si c’est plaisant à la vue), car les paysannes ne sont pas vraiment crédibles, faisant état de leur pauvreté dans des robes au chiffonnage sophistiqué qui sentent le luxe à cent lieues à la ronde. Dans ce cadre chic, Boussard réalise une production peu spectaculaire, guère révolutionnaire, mais fort intéressante, car les personnages sont construits dans une véritable épaisseur humaine. De plus, l’artiste insiste sur les conflits qui traversent le livret, entre couples et entre classes, une violence pas toujours contenue affleurant d’une pièce qui est tout sauf un marivaudage sans conséquence. La brutalité est présente dès la première scène entre Susanna et Figaro ; ils ne se querellent pas pour le plaisir d’avoir le dernier mot mais parce qu’ils jouent leur avenir et leur bonheur et n’ont guère de droit à l’erreur. Les rapports du couple seigneurial sont encore plus conflictuels et, bien qu’en y mettant les formes, le comte a du mal à se contenir dans les actes II et III, tendus à l’extrême ; la réconciliation finale a peu de chances de durer.

Vincent Boussard réalise donc de la belle ouvrage, toujours captivante à voir, mais pêche toutefois par certains détails. D’abord, par une utilisation trop systématique des portes, devenant à la longue des cachettes de polichinelle ; ensuite, par des accessoires dont il ne tire pas tout le potentiel dramatique. Malgré ces petites remarques, la soirée est belle et son maître d’œuvre fort applaudi lors des saluts.

Comportant quelques noms alléchants, la distribution tient ses promesses, avec beaucoup de hauts et peu de bas. Parmi les bas, le Bartolo sans grave de Simon Kirkbride qui débite son air sans être jamais ni menaçant ni vindicatif. On attendait mieux de Marie McLaughlin qui peine à suivre le rythme et détone dans Il capro e la capretta, malgré une évidente bonne volonté. Enfin, Daniel Teadt est bien jeune pour faire un comte crédible ; le chant est stylé mais manque d’impact et de projection, le timbre n’est pas assez corsé et l’interprète, encore timide, remplace la morgue et l’autorité naturelle de son personnage par une brutalité surjouée. On regrettera également qu’on ait coupé l’air de Basilio, alors qu’Alain Gabriel semblait tout à fait apte à le chanter.

Parmi les satisfactions, notons d’abord le couple bien chantant, fais et juvénile, composé par Barbarina et Cherubino, alias Liesbeth Devos et Katia Dragojevic, parfaits et adorables. Giorgio Caoduro en Figaro est encore un peu vert, mais le chant s’avère aiguisé et plein d’autorité. Comme seul un italien en est capable, il donne aux mots une couleur et une saveur inimitables. Enfin, au plus haut, deux prime donne qu’il est bien difficile de départager. Sophie Karthäuser chante sa deuxième Susanna, après Lyon (en avril). Magnifique mozartienne, elle tient le rôle avec assurance, déployant beaucoup d’énergie en scène sans jamais perdre de vue la qualité du chant. Celui-ci est d’une beauté rare, bien timbré, souplement phrasé et pleinement à l’aise sur toute la tessiture. De plus, elle a la rare faculté d’adopter un ton direct, populaire, sans qu’on la prenne pour une soubrette et sans devenir vulgaire. La comtesse d’Olga Pasichnyk déploie un chant fort différent : sophistiqué, moins direct et délicieusement artificiel. Le legato est onctueux, Porgi amor est phrasé avec un art infini, et l’on apprécie pleinement les ressources d’un timbre magnifique, coloré autant que velouté. Quand elle arrondira un peu la ligne de son Dove sono, elle polira une interprétation de haut vol.

Nous retrouvons avec plaisir le Concerto Köln en fosse. L’orchestre est vigoureux et homogène, les attaques sont franches, les sonorités affûtées et colorées. À sa tête, un chef qui monte, Andreas Spering, dont les disques (Die Schöpfung de Haydn, notamment) et les prestations sont souvent convaincantes. Ardente, tranchante, sa direction arbore des tempi d’une extrême vivacité. Tenant bien en main son vaste plateau – sauf dans l’Acte IV qui lui échappe un peu, ce qui se traduit par quelques décalages et un peu de précipitation –, Spering est attentif à la respiration des chanteurs. Comme à son habitude respectueux et attentif, le public luxembourgeois est venu nombreux ; son enthousiasme se traduit par une belle ovation pour l’ensemble des protagonistes de cette « folle journée ».

RL