Chroniques

par bertrand bolognesi

Le livre des illusions
nouvel opus de Bruno Mantovani par l’Orchestre de Paris

Agora / Salle Pleyel, Paris
- 11 juin 2009
© pascal bastien

Saluée comme la meilleure table au monde, El Bulli propose une cuisine d’avant-garde qui ne manque pas d’exciter les papilles de Bruno Mantovani – et cette édition d’Agora fête les avant-gardes, disions-nous dans l’article consacré au concert d’ouverture du festival [lire notre chronique du 9 juin]. Aussi a-t-il concocté Le Livre des illusions, grande pièce pour orchestre et électronique qui lui fut commandée par l’Ircam et l’Orchestre de Paris et inspirée par les audaces de Ferran Adrià, grand enchanteur de la sphère gastronomique auquel cette œuvre rend hommage.

On sait des compositeurs qui s’inspirent de peinture, de poésie, de fait historique, de théorie scientifique, de concept philosophique, de personnage littéraire, etc. Rappelez-vous le canadien Bruce Mather dont certaines partitions font l’expérience du vin – Barolo, Clos de Vougeot, Musigny, Coulée de Serrant, Barbaresco, Vouvray, Yquem, Tempranillo, Saumur, Quarts de Chaume, Bourgueil, Sancerre, autant de titres évocateurs qui jalonnent sa production. En voici un que féconde la gastronomie ; pourquoi pas ? Aussi gagne-t-il la scène avant la création de sa nouvelle page, en compagnie du chef catalan.

« Je ne suis pas un reporter mais un musicien, de sorte que lorsque je trouve à illustrer à l’orchestre l’explosion en bouche de l’olive et la nappe d’huile qui s’y répand ensuite, je suis amené à développer chaque idée musicale comme telle, soudain rendue indépendante de la saveur inspiratrice », précise-t-il.

De fait, voilà bien un opus qui, pour livrer, dans la brochure qui en accompagne la découverte, le menu par le détail, s’en affranchit fermement. Le phénomène est en question : la création de l’illusion, ou d’illusions, comme on voudra, préoccupation commune au cuisinier et au musicien. Aussi l’écoute rencontre-t-elle des oppositions sensibles de textures infiniment travaillées, des superpositions de couleurs, dont certaines héroïquement déposées dans leur simplicité, pour ainsi dire(comme un violoncelle très vibré, un solo saillant du violon, par exemple). L’usage de percussions musclées marie des échos de flûtes, dans une fluidité superbement dévorante. L’électronique mitonne les bruits de clapets, le bruissement des cuves et, au besoin, lape, mâche, déglutit, laissant les cordes à leurs sécrétions indicibles où flottent des nectars qui sont prétextes, commentaires et fantasmes. Le résultat ? Une œuvre extrêmement brillante que l’on goûte jusqu’aux plaisirs induits de la résistance et de la répétition.

Auparavant, la soirée s’est ouverte par Formazioni de Berio, poursuivant le cycle dédié à l’Italien, servi par la saine clarté de Jean Deroyer à la tête des musiciens de l’Orchestre de Paris. On apprécia l’excellente gestion de la dynamique, le bon contrôle des équilibres, jusqu’en certains effets de masse toujours soigneusement dosés. Une tendre réminiscence romantique fut au rendez-vous du radical aphorisme de l’Opus 10 de Webern.

BB