Chroniques

par gérard corneloup

Le Comte Ory
opéra de Gioacchino Rossini

Opéra national de Lyon
- 21 février 2014
Le Comte Ory, un opéra bouffe encore rare de Roosini, vu à Lyon
© bertrand stofleth

C’est bien connu : après la copieuse moisson lyrique d’ouvrages tant dramatiques que comiques, produite par il signor Rossini en terre italienne, celui-ci importait en terre parisienne ses réputées créations, plutôt coulées dans le roide moule du grand opéra historique à la française… et à la mode – toutefois pour quelques pièces seulement, avec un copieux point final : son Guillaume Tell, créé à l’Opéra de Paris, à l’été 1829. Un an plus tôt, sur la même scène, il présentait Le Comte Ory, un travail très différent quant à l’écriture toute imprégnée de bel canto, la dramaturgie, à l’origine réduite à un seul acte – bref, quant à l’esprit général. La base s’en trouve fixée à des années-lumière des grands exploits « héroïco-historico-dramatico-emphatiques » et centrée sur les aventures « érotico-sexo-drago-comico-polissonnes », au besoin travesties, d’un nobliau préférant nettement courir sus aux belles plutôt que sus aux infidèles via les lointaines croisades. Mais les picaresques aventures de ce séducteur, aidé par des féaux désireux de le servir en toute occasion, visant à obtenir le cœur (…e tutti quanti…) d’une certaine comtesse Adèle, buteront sur la concurrence d’un tout jeune page, un gamin même pas noble (un certain Isolier, de surcroit joué en travesti), après une scène de triolisme savoureuse – et tant audacieuse pour la Restauration pure et dure façon Charles X ! – qui malmène un rien le lit accueillant le charmant délit. Le retour des croisés (en uniformes et rangers) mettra une fin bienséante à cet écart de conduite.

On imagine que la réputation internationale de Rossini dut jouer face à une censure sans doute un rien scandalisée. Toujours est-il qu’il obtint aussi de développer l’ouvrage en deux actes, réemploya, selon les habitudes du temps, de larges extraits d’un de ses précédents opéras récemment présenté à Paris, Il viaggio a Reims ossiaL'albergo del giglio d'oro, précisément écrit à l’occasion du sacre de Charles X [lire notre chronique du 3 octobre 2008]. On imagine aussi la gageure que représente la mise en scène qu’il faut concevoir et mener à bien pour narrer cette histoire tout en la rendant crédible : un véritable parcours d’obstacles (au pluriel) dont Laurent Pelly – qui signe également les costumes et des décors habilement mobiles – se rend maître dès le lever de rideau, se joue avec brio, à propos, humour et clins d’œil au spectateur contemporain.

Ici, point de croisade, d’armure, d’habits médiévaux. Nous sommes dans la France profonde d’aujourd’hui où il y a toujours des pseudo-prophètes de la pensée, façon gourou, prêts à aider Monsieur et Madame Tout-le-monde, un rien désemparés, dans leur recherche d’équilibre et de bonheur – contre « obole », bien sûr ! Pour faire l’affaire, rien de tel que les réunions autour d’un ermite, modèle fakir reconverti. Et quand cette première étape ne marche pas, côté chair gourou Ory se rabat en équipe avec les susdits séides, tous déguisés en bonnes sœurs un rien musclées qui, en incursion quémandent abri dans la riche demeure de la Comtesse Adèle où celle-ci et ses dames s’ennuient. Ce qui nous vaut la scène magistralement conduite des fausses nonnes engloutissant de vrais alcools et entonnant de vraies chansons à boire.

La façade vocale du Comte Ory est tout aussi périlleuse à défendre, tant le compositeur assemble là, et avec art, les demi-teintes et le charme de l’opéra-comique français de l’époque (Auber, Adam et consorts) et les envolées les plus acrobatiques du plus pur bel canto italien. Avec une maîtrise souveraine la Comtesse Adèle de Désirée Rancatore amalgame les deux aspects par une émission claire et lumineuse, jamais durcie dans les aigus. On aimerait en dire autant du Comte Ory de Dmitry Korchak dont les aigus ont souvent le tranchant d’une lame de rasoir ; cela mis à part, le chant est séducteur, bien conduit, musical à souhait. Fort bien choisi, le reste de la distribution est d’une homogénéité parfaite, du piquant Isolier d’Antoinette Dennefeld à la Dame Ragonde savoureuse de Doris Lamprecht, de l’agile et musical Raimbaud, au beau chant moiré, de Jean-Sébastien Bou au solide Gouverneur de Patrick Bolleire, sans oublier l’Alice de Vanessa Le Charlès.

Toujours aussi bien « coaché » par Alan Woodbridge, le Chœur de l’Opéra national de Lyon défend avec brio son importante partie. L’Orchestre « maison » réagit fort bien à la baguette de Stefano Montanari, bien qu’une plus grande fluidité, moins de rigidité, plus de charme parfois un rien alangui, pourraient sceller cette rude approche d’un Rossini à la française.

GC